2006-10-29

Comment libérer le Cambodge (3)

Nouvelles du Cambodge N° 0646-F

LA ROUTE DE LIBÉRATION DU CAMBODGE DE LA DOMINATION VIETNAMIENNE (3)

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 25 octobre 2006

Les luttes multiformes de nos compatriotes au Cambodge

D’abord concernant la politique culturelle :

On sait maintenant que l’identité culturelle nationale d’un pays réside dans le développement de sa culture écrite[1]. Le pouvoir colonial a vietnamisé la Cochinchine en utilisant les seules langues française et vietnamienne dans l’administration et en créant des enseignements modernes primaires et secondaires pour les seuls Vietnamiens. Les Cambodgiens de Cochinchine n’ont droit qu’à des écoles de pagode, même « rénovées »[2].

Concernant nos hommes politiques, Pourquoi peu d’entre eux s’entoure d’intellectuels de hauts niveaux, comme c’est le cas des Européens par traditions léguées depuis la plus haute antiquité ? Signalons cependant deux exceptions :

§ Son Ngoc Than avait la vie sauve, parce qu’il a été capturé par les Français avec la complicité des Anglais. Les Anglais ne voulait pas avoir le sang d’un prisonnier dans la main. Mais son secrétaire particulier était un intellectuel bilingue nommé Huot Sovan, frère aîné de Huot Sambath, fils du docteur Huot, « accusé de collaboration avec les Japonais, a été interné dans une caserne au-delà de Phnom Penh et torturé à mort par le commandant Gallois. »[3]

§ Sisowath Yutévong a choisi comme secrétaire particulier Nou Hach, l’auteur du classique « Phkar Srapaune », véritable plaidoirie pour les intellectuels. Mais la vie politique de Yutévong a été trop brève.


A part ces deux personnalités, il semble que nos hommes politiques ont peur des intellectuels en particulier des intellectuels patriotes. Même de nos jours. A part le relèvement des salaires des professeurs, aucun homme politique ne s’occupe du contenu des manuels scolaires, de la création d’un Institut pour la recherche historique, un autre pour la recherche géographique. Pas d’encouragement non plus pour la publication d’un nouveau dictionnaire de la langue cambodgienne. Les lauréats des Olympiades Scientifiques Junior ne sont pas non plus honorés etc[4].

Durant la période allant de 1954 à 1970, l’enseignement supérieur était en français et la haute société cambodgienne envoyait ses enfants au lycée français Descartes où la langue cambodgienne était considérée comme une langue étrangère.

Dans ces conditions comment alphabétiser rapidement l’ensemble du peuple ? Comment former rapidement un grand nombre d’intellectuels de haut niveau comme en Malaisie par exemple ? Tous les exemples dans le monde ne montrent-ils pas qu’un peuple instruit ne vit jamais sous une domination étrangère ? Peut-on instruire l’ensemble du peuple en langue étrangère ?

Rappelons que durant le Sangkum, il y avait des publications intéressantes, mais toutes en français. Comme la revue "Etudes Cambodgiennes" par exemple. Le journal politique le plus lu était « La Dépêche » de Chau Seng. Dans ces conditions, comment alphabétiser rapidement l’ensemble du peuple ? Heureusement, commence à se développer une littérature en langue nationale d’un bon niveau et le premier dictionnaire de notre langue était publié sous la direction de Chuon Nath. Il y avait des savants en langue nationale comme Achar Pin Khat par exemple. Mais personne ne fait attention à eux. Un intellectuel de haut niveau, bilingue, Ieu Koeus, secrétaire général du Parti Démocrate, fut assassiné par des « inconnus » en janvier 1950.

Ce qui fait qu’en 1970, il n’existe qu’une poignée d’intellectuels dans un océan d’analphabètes.

De nos jours, il y a le développement des livres, des journaux, des revues en langue nationale. La langue administrative est cambodgienne. Malgré toutes les obstructions notre langue et notre culture se développe, mais lentement car avec peu de soutien financier et politique national et international. Notons les efforts de nos compatriotes au Cambodge et aussi les aides des personnalités étrangères comme Ingrid Muan, qui a pu récolter les aides des fondations étrangères comme The Albert Kunstadrer Family Fuondation, The Japan Foundation Asia Center, The Rockefeller Foundation, The Toyota Foundation, par exemple. Le Cambodge possède maintenant des imprimeries modernes avec un personnel capable de les faire fonctionner et au besoin de les réparer. Maintenant le Cambodge est capable de produire des livres de qualité presque internationale. D’autre part les éditeurs et les libraires gagnent de l’argent. Cela prouve que le nombre de lecteurs augmente. Mais malheureusement à la campagne il y a encore très peu de gens qui lisent. Cela est dû en grande partie à l’état moyenâgeux de nos voies de communications. Le Japon ne pense qu’à moderniser les communications entre Saigon et Phnom Penh, pour rendre le Cambodge dépendant de Saigon, comme durant la période coloniale.

Il est intéressant de constater que des chansons créées par nos frères de Surin sont parvenues à nos frères du Kampuchea Krom, en passant par Phnom Penh. Nos frères du Kampuchea Krom se battent maintenant pour la libre circulation des DVD, livres et autres objets culturels en provenance du Cambodge. Ainsi la solidarité entre les Cambodgiens du Cambodge et avec nos frères de Thaïlande et du Sud-Vietnam se concrétise avec le développement du niveau intellectuel de notre peuple.

Notons aussi que les artistes cambodgiens : chanteurs, comédiens, acteurs de cinéma etc. commencent aussi à gagner de l’argent. Certes il y a l’assassinat de Piseth Pilika et de Touch Sunnich. Mais maintenant les artistes cambodgiens se déplacent avec des garde-corps.

Un autre fait intéressant à noter : la lutte des avocats cambodgiens pour démocratiser le Barreau (Association) des avocats. Dans cette lutte, nos avocats n’ont reçu aucune aide des grandes puissances.

Jusqu’à présent aucune grande puissance ne nous a aidé et ne nous aide dans ces domaines. Les Chinois forment au compte goûte les ingénieurs et techniciens cambodgiens en Chine et en chinois. De même pour les autres grandes puissances. Personne ou presque, ne vient nous aider à combler nos retards dans ce domaine. Rappelons que Bill Gates de Microsoft est en train de former 15 000 ingénieurs informaticiens vietnamiens de haut niveau.

Les grandes puissances dépensent énormément pour aider les pays pauvres à lutter contre le Sida et la famine. Or tout le monde sait que les peuples instruits savent mieux lutter contre la propagation du Sida et contre la famine. Pourquoi ne pas utiliser une partie des ces aides à instruire le peuple, en particulier les femmes ?

Ainsi, grâce aux efforts et aux luttes de nos compatriotes au Cambodge, le nombre absolu des lettrés augmente. Mais malheureusement son pourcentage diminue. Les lettrés restent encore noyés dans l’océan des illettrés.

Un groupe de Cambodgiens en Australie vient de se rendre compte de l’ignorance des jeunes Cambodgiens pour notre culture, à commencer par la langue. Dans les mariages mixtes, c’est souvent le conjoint étranger qui demande à aller au Cambodge pour se ressourcer dans notre culture. Ce groupe vient de réaliser un film sur ce sujet et préconise l’apprentissage de notre langue en Australie même comme première mesure. Ce film sera projeté au Cambodge en mars prochain.

Notons aussi le fait que de nombreux Cambodgiens retraité viennent s’installer au Cambodge et apportent leurs connaissances pour aider la formation des techniciens cambodgiens. C’est aussi un fait important pour impulser la solidarité entre les Cambodgiens.

Au Cambodge, la construction des maisons et des immeubles bat son plein. Y a-t-il des grandes entreprises cambodgiennes qui participent à ces constructions ? Les États-unis ont-ils fait appel à des entreprises cambodgiennes dans la construction de son immense ambassade ? On construit en ce moment des immeubles d’une certaine hauteur à Phnom Penh, y a-t-il la participation des entreprises cambodgiennes, des architectes, des ingénieurs et des techniciens cambodgiens ?

Concernant la formation de la petite, moyenne et grande bourgeoise

Comment un pays peut être indépendant si les artisans, les techniciens, les ingénieurs, les chefs des petites et moyennes entreprises commerciales et industrielles sont encore majoritairement étrangers ? S’il n’y a pas d’école ou institut pour les former massivement ?

Actuellement, aucune grande puissance ne nous aide à former ces hommes dont nous avons besoin. Mais ce qui est regrettable, c’est qu’aucun de nos hommes politiques n’a un programme pour remédier à cet état de chose.

Certes il y a des étrangers comme le Suisse Beat Richner qui construit ses quatre hôpitaux Kantha Bopha avec des entreprises, des architectes, des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers 100 % cambodgiens, assistés au besoin par quelques experts étrangers. De même ces hôpitaux sont gérés par un personnel soignant et autre aussi 100 % cambodgien, avec 0 % corruption et sans le moindre favoritisme. Dans ces hôpitaux, il règne une hygiène suisse et les médicaments utilisés sont de même qualité qu’en Suisse Les Cambodgiens appellent ces hôpitaux de « Monti Pait Thane Sour » (hôpitaux du paradis). Richner ne nous montre-t-il pas que les Cambodgiens sont capables de tout faire et de bien faire.

Par contre les Japonais construisent des ponts, des routes et autoroutes, principalement pour faciliter les communications terrestres avec Saigon dans le but de faire dépendre notre commerce extérieur de ce port vietnamien. C’est d’ailleurs la politique pratiquée par le pouvoir colonial depuis le milieu du XIXè siècle. En plus pour ces constructions le japon utilise uniquement des entreprises, des ingénieurs et techniciens vietnamiens. Pourquoi cette exclusivité ?

Les Chinois construisent aussi des ponts et des routes pour relier Phnom Penh au Laos et aussi pour améliore nos communications intérieures. Mais ils n’utilisent que des entreprises, ingénieurs et techniciens chinois.

En plus, au point de vue économique, il y a le monopole intolérable de la société vietnamienne Sokimex dans l’importation des produits pétroliers et dans de nombreux autres produits comme les médicaments. La Sokimex a également le monopole pour la confection des uniformes de la police et de l’armée. Ce qui fait que Sokimex possède maintenant un trésor de guerre de plusieurs milliards de $US. Il y a aussi la gigantesque banque vietnamienne Canadia qui est présidée, pour camoufler sa direction vietnamienne, par un Cambodgien venant du Canada. Les Cambodgiens du Canada le savent très bien.

Ainsi, le Vietnam utilise le clan Hok Lundy – Hun Sen pour tout faire pour empêcher la petite et moyenne bourgeoisies cambodgiennes de se développer. Ainsi, la petite et la moyenne bourgeoisie, par nécessité, sont obligées de se battre contre ce pouvoir dictatorial. Elles ne le font pas ouvertement, mais par tous les moyens à leur disposition, y compris les relations familiales et autres.

D’autre part les coiffeurs, les tailleurs, les réparateurs de vélos, de motos, de voitures, des moteurs en tout genre, des télévisions et autres appareils électroniques se forment principalement par autodidacte et par les quelques rares écoles privées. Il y a maintenant le développement d’un certain nombre de ces entreprises cambodgiennes en tout genre, particulièrement en ville et à Phnom Penh.

Ces chefs d’entreprises sont en général des personnes instruites à un certain niveau. C’est ce qui explique qu’à Phnom Penh par exemple, lors des élections, le clan Hok Lundy – Hun Sen n’obtient qu’un tiers des voix. Cela malgré les assassinats, les fraudes et autres intimidations de toutes sortes.

Notons aussi l’existence de plus de 250 000 ouvriers et surtout ouvrières des usines principalement textiles. C’est la première fois au Cambodge qu’il y ait tant d’ouvriers d’usines. Le salaire annuel de ces ouvriers représente 200 millions de $US. Cette somme est entièrement recyclée dans l’économie cambodgienne. D’autre part ces ouvrières et ouvriers en retournant plusieurs fois par an dans leur famille à la campagne, sont des vecteurs de propagation des idées des villes. Ainsi nos paysans à la campagne ne restent en relation permanente avec la capitale où sont concentrées ces usines. D’autre, pour défendre leurs intérêts ces ouvrières et ouvriers savent que leurs forces résident dans leur unité dans des organisations syndicales. C’est une forme nouvelle de lutte dans la société cambodgienne d’aujourd’hui.

Rappelons que nos provinces du Nord-Est et de l’Est sont en train d’être rattachées économiquement au Vietnam. Le Japon est en train de construire une autoroute reliant tout le Nord-Est de notre pays : Kraties, Stung Trèng, Ratanakiri et Mondulkiri au port vietnamien Danang. Cette autoroute est construite par des entreprises et ingénieurs vietnamiens. Les barrages hydroélectriques sont aussi construits par des entreprises vietnamiennes et la production de l'électricité est gérée aussi par des entreprises vietnamiennes. De même, nos provinces de l’Est, en particulier Svay Rieng sont déjà alimentées en électricité vietnamienne à un prix double que celui pratiqué au Vietnam. Le clan Hok Lundy est en train d’organiser l’intégration de ces provinces au Vietnam administrativement. Le clan Hok Lundy – Hun Sen vient de signer l’intégration de notre système des télécommunications dans celles du Vietnam.

Tout cela sans la moindre protestation de nos hommes politiques ; Pourquoi ce silence complice ?

(À suivre…)

Notes : This article is available into english upon request.

[1] Lewis Mumford, dans « La Cité à travers l’histoire », Editions du Seuil, Paris 1964, page 59.
[2] « La Minorité Cambodgienne de Cochinchine », par Louis Malleret, Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, Tome XXI, 1er semestre 1946.
[3] Dans « Le Mal Cambodgien » de Marie Alexandrine Martin, ed Hachette, Paris 1989, page 60.
[4] Lors de l’« International Junior Science Olympiad » (IJSO), tenu à Jogjakarta (Île Java, Indonésie), du 4 au 13 décembre 2005, le Cambodge a présenté 6 candidats. Il y avait près de 200 candidats venus d’au moins 25 pays de tous les continents, à l’exception du Canada, des USA, du Japon, de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Australie. Le Cambodge a reçu 6 médailles : Dy Kuchsa (Médaillé d’Or), Huoy Channaren (Médaillé Bronze), Hun Vanasola (Médaillé Bronze), Mom Charya (Médaillé d’Argent), Ty Sovisal (Médaillé d’Argent), and Say Buntha (Médaillé Bronze).

Comment libérer le Cambodge (2)

Nouvelles du Cambodge N° 0645-F

COMMENT LIBÉRER LE CAMBODGE DE LA DOMINATION VIETNAMIENNE (2)

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 23 octobre 2006

Le problème de l’ « Histoire »

Le passé peut nous donner des indications pour l’avenir, avec donc des perspectives pour nos luttes à venir. Mais comment examiner notre passé ? L’histoire est-elle une science exacte comme les mathématiques ou comme les sciences de la nature ? Existe-t-elle une « Vérité historique » ? Par exemple pourquoi y a-t-il des milliers de livres sur Napoléon ?

« On confond souvent le sens historique avec le culte de la tradition ou le goût du passé. En vérité, pour l’individu comme pour les collectivités, l’avenir est la catégorie première. Le vieillard qui n’a plus que des souvenirs est aussi étranger à l’histoire que l’enfant absorbé dans un présent sans mémoire. Pour se connaître soi-même comme pour connaître l’évolution collective, l’acte décisif est celui qui transcende le réel, qui rend à ce qui n’est plus une sorte de réalité en lui donnant une suite et un but. » [1]

Chaque livre sur Napoléon ne représente-il pas une certaine vision subjective de l’auteur sur le personnage ? Les histoires du Cambodge écrites par des étrangers ont-ils pour objectif d’unir les Cambodgiens pour libérer leur pays de la domination vietnamienne ?

Donc, avant d’aller plus loin, il est donc important d’abord d’essayer de se poser la question de savoir « quel avenir pour le Cambodge ? » Maintenant, force est de constater que nos compatriotes, au Cambodge comme à l’étranger, sont unanimes à dire que le problème fondamental pour notre pays est : « Comment libérer notre pays de la domination vietnamienne dans le contexte géopolitique actuelle ? » Il y a aussi actuellement un consensus chez nos compatriotes pour dire que le pouvoir dictatorial, mafieux et criminel actuel, entre les mains du clan Hok Lundy – Hun Sen, ne fait qu’exécuter les ordres venus de Hanoi. La récente « Affaire Heng Pov » montre à l’évidence, d’autre part, qu’aucune grande puissance n’a intérêt à remplacer ce pouvoir honni unanimement par les Cambodgiens.

Dans ces conditions comment trouver les bases pour unir nos compatriotes dans leurs luttes multiformes pour libérer notre pays de la domination vietnamienne ? Il faut donc examiner minutieusement notre passé comme le pense Naranh Kiri Tith. Mais faut-il s’en tenir seulement aux activités de nos hommes politiques sur seulement leurs activités politiques ? Les questions culturelles, économiques et sociales ne sont-elles pas au moins aussi importantes ? Le poids politique respectif des Etats-Unis, du Japon, de la Chine et de l’Inde n’est-il pas dû principalement au poids économique de chacune de ces grandes puissances ? Ce poids économique n’est-il pas à son tour dû au développement à l’amont de l’enseignement en général et en particulier de l’enseignement supérieur ? La Chine forme 600 000 ingénieurs de haut niveau par an, l’Inde 300 000, le Japon et les Etats-Unis ont des laboratoires de recherches les plus performants de la planète. L’effondrement de l’URSS n’est-il pas dû principalement à son incapacité à développer une économie assez forte pour soutenir son effort militaire ?

D’après ces constatations, n’est-il pas important de nous poser la question : « Qu’est-ce qui fait qu’un peuple s’unit pour défendre les intérêts nationaux fondamentaux de son pays ? » Qu'est-ce qu’une nation ? Est-ce que les Cambodgiens actuels se comportent comme les citoyens d’une nation ?

Les expériences de tous les jours ne nous montrent-elles pas que tout être humain défend avant tout, ses propres intérêts et ceux de sa famille ? Alors pourquoi, dans une nation, des millions, des dizaines voire des centaines de millions de citoyens, sans se connaître, peuvent-ils s’unir pour se battre, parfois jusqu’à la mort, pour défendre leurs intérêts communs ? Ces intérêts communs consistent-ils en quoi ? En résumé quelles sont les bases d’une nation ? L’histoire montre que les nations ne se sont constituées que depuis un peu plus de quelques siècles en Europe. Avant l’imprimerie l’Europe était unifiée par l’utilisation du latin. Avec l’invention de l’imprimerie en 1450, proliféraient des livres en langues vernaculaires qui devenaient les bases actuelles des nations européennes[2]. Les premières vraies nations sont l’Angleterre et la France. Puis elles s’étendent en Europe. En Russie avec Pierre le Grand (1672 – 1725), puis continué par la Grande Catherine II (1729 – 1796). Puis en Asie à partir de la deuxième moitié du XIXè siècle, d’abord au Japon à l’ère du Meiji en 1868. L’histoire du monde ne nous montre-t-elle pas que toutes les nations ont pour supports fondamentaux les classes moyennes que sont les intellectuels, les artisans et les chefs des petites et moyennes entreprises ?

Plus récemment, pour les petits pays comme la République d’Irlande en Europe et la Malaisie près de chez nous, qui sont maintenant des pays développés. En 20 ans, la méthode utilisée par ces pays est la même : investir massivement dans l’enseignement pour former rapidement des ingénieurs, des techniciens à tous les niveaux, des gestionnaires en tout genre. Maintenant les riches de la République d’Irlande sont en train d’acheter des terres dans la partie anglaise au Nord-Est de l’île. Ainsi la lutte armée n’est plus nécessaire pour que la République d’Irlande devienne progressivement maître de cette partie encore britannique de l’île. Naturellement, la République d’Irlande et la Malaisie ont des dirigeants qui connaissent la voie à suivre et qui l’appliquent, comme le Japon à l’ère Meiji en 1868. Est-ce le cas chez nous ?

Comment former rapidement et massivement, des ingénieurs et spécialistes dans tous les domaines dans une langue autre que la langue maternelle ? Pour Singapour, l’anglais est en train de devenir la langue maternelle pour l’ensemble du peuple avec comme deuxième langue le chinois, le malais ou le tamoul. En Inde, il existe une minorité (1/100 de la population) qui utilise l’anglais comme langue maternelle, mais la grande majorité des Indiens sont en train de se battre pour développer l’enseignement supérieur en langue nationale pour lutter contre la domination de la minorité anglophone.

Ainsi pour libérer notre pays de la domination vietnamienne, notre lutte est-elle seulement et uniquement politique ? Ou comporte-t-elle aussi les luttes culturelles, économiques, sociales, etc. ? Même de nos jours, quel homme politique cambodgien a-t-il comme programme le développement de notre système d’enseignement ?

Certes, dans le passé, les responsables politiques cambodgiens ont eu leur part de responsabilité dans la situation actuelle de notre pays. Mais ces responsabilités sont-elles seulement politiques ? Quelle est la part de leurs erreurs ou insuffisances concernant la politique culturelle ? Les insuffisances dans la politique économique et sociale ? Comment remédier à ces insuffisances ? De nos jours, nos hommes politiques ont-ils pris conscience de ces insuffisances ?

Remontons plus loin dans notre histoire. Est-ce que les seules considérations politique et culturelle sont suffisantes pour comprendre la supériorité d’Ayuthia sur Angkor ? Ayuthia n’est-elle pas vassale de Jayavarman VII ? Jusqu’à présent, Bernard Philippe Groslier était le seul à chercher à étudier en profondeur, l’agriculture angkorienne dans son article : « La Cité Hydraulique Angkorienne, exploitation ou surexploitation du Sol ? »[3]. Dans cet article Groslier tire la conclusion qu’après Jayavarman VII « le système est mort (page 187)». Il n’y a plus de place pour créer un nouveau baray.

On sait qu’Ayuthia bénéficiait des récoltes toujours abondantes fournies par le fleuve Ménam que Henri Mouhot comparaissait au Nil[4]. De nos jours c’est toujours le Ménam qui permet à la Thailande d’être le premier pays exportateur de riz du monde ! En plus Ayuthia était un port accessible aux bateaux portugais qui arrivaient dans la région au début du XVIè siècle. Est-ce le cas pour Angkor et le Cambodge après Angkor ? A partir de l’arrivée des Portugais et des Européens dans notre région, pouvons-nous écrire notre histoire en ignorant l’intervention des portugais puis des autres européens dans notre région ? Pour ne pas alourdir nos propos, nous reviendrons plus longuement, dans un autre article, sur les interventions des Européens dans notre région qui ont changé complètement l’histoire des pays du Sud-Est Asiatique et aussi de l’Asie de l’Est, Chine et Japon compris.

Au Japon, à la bataille historique de Nagashino, le 28 juin 1575, la victoire revint à la défense qui utilisait pour la première fois 3000 armes à feu, en l’occurrence des arquebuses vendues par les Portugais. Cette bataille a était portée à l’écran par le célèbre réalisateur Akira Kurosawa en 1980 dans son film « Kagemusha ». Les Portugais et leurs armes à feu jouaient aussi un rôle très important dans les conflits entre la Birmanie et le Siam au XVI et XVIIè siècles.

Les Européens ont apporté avec eux, les armes à feu, leurs connaissances en mathématiques, en astronomie, les preuves de la sphéricité de la terre et de sa rotation sur elle-même après le premier voyage circumterrestre entrepris par Magellan en 1520, l’imprimerie, l’horloge et autres sciences, les frontières linéaires, des systèmes d’administration efficaces entre autres. Les Européens ont hérité de toutes les civilisations du monde, en particulier celle de la Grèce antique. Les Grecs ont inventé la logique et les mathématiques abstraites qui sont les bases des mathématiques actuelles. Les philosophes grecs, les premiers, s’intéressaient aux problèmes de l’homme, de ses relations entre eux et de ses relations avec le monde extérieur terrestre et extraterrestre. Les Grecs se posent des problèmes sur la beauté. Les deux grandes bibliothèques d’Alexandrie sont les témoignages éternels de l’importance donnée à l’écrit et à la confrontation démocratique des idées. Le droit romain n’est-il pas une des sources principales d’inspiration du droit des pays européens ?

Ne faut-il pas tenir compte, aussi des contradictions et même des conflits d’intérêts entre les Européens et de nos jours entre les grandes puissances ? De tout temps les plus forts cherchent toujours à dominer les plus faibles. L’homme n’applique-t-il inconsciemment la fameuse théorie de la « Sélection naturelle » de Darwin ?

« Du moins pourra-t-on voir à cette occasion s’appliquer dans toute sa rigueur la théorie de la sélection naturelle ; car au cours des cinq ou six derniers millénaires, les peuples les plus doux, les plus aimables et les plus accueillants ont été exterminés ou condamnés à disparaître, tandis que prospéraient les groupements les plus belliqueux qui relevaient tour à tour le flambeau civilisateur. » [5]

Dans l’histoire, les grandes puissances européennes possèdent des ports très importants comme Athènes, Rome, Carthage, Alexandrie, Venise, Amsterdam, Londres etc. Leur prospérité vient principalement du commerce maritime. Le développement des communications et des transports aériens ne change pas beaucoup à cette donne.

Les Européens ne s’intéressaient donc qu’aux pays ayant des ports accessibles à leurs bateaux. Puis ils ont créé des ports dans des endroits stratégiques comme Singapour, Hong Kong, Saigon, Shanghai par exemple. Géographiquement, le Cambodge ne se trouvait sur aucune route maritime stratégique. Au moment de la création du port de Saigon, le Cambodge devenait automatiquement l’arrière pays nécessaire pour permettre à Saigon de prospérer. Finalement notre pays ne possède un port maritime que depuis 1969.

Après les Accords de Paris du 23 octobre 1991, le Japon entreprend de tout faire pour que les exportations du Cambodge continuent à se faire principalement par Saigon. Comme par exemple la construction d’une véritable autoroute à deux voies dans chaque sens entre Phnom Penh et Saigon, la première autoroute du Cambodge comme du Vietnam. En plus cette autoroute est construite par des entreprises vietnamiennes. Alors que le Cambodge a un besoin urgent de moderniser les routes qui relient la capitale à nos villes de province et à nos villages ainsi que nos lignes de chemin de fer. Rappelons que la route RN 4, offerte par les Etats-Unis est à péage, alors que, pour développer notre commerce extérieur, notre intérêt est de transformer cette RN 4 en une véritable autoroute à au moins deux voies à chaque sens.

De nos jours, aucun Cambodgien ne s’avise de célébrer l’anniversaire de ces Accords de Paris de 1991. N’est-ce pas une preuve suffisante que les Cambodgiens sont déçus des résultats escomptés de ces Accords ? Sihanouk et Khieu Samphan, par ignorance, n’ont-ils pas à cette occasion, signé leur condamnation à mort politiquement ?

Notre port de Kompong Som, nos îles et nos côtes sont appelés à devenir une ville et une région industrielles, touristiques et commerçantes les plus développées de la région avec en prime des grandes ressources en hydrocarbure. Le problème est de savoir qui géreront ce port et cette région ? Les Cambodgiens ? Ou seulement des étrangers, nos voisins en particulier ? Les Cambodgiens ne seront-ils que des mendiants dans leur pays, au milieu des riches étrangers ? Les Cambodgiens ne sont-ils pas déjà des mendiants à Bangkok, à Saigon et aussi à Phnom Penh ?

(À suivre…)

Note : This article is available into english upon request.
[1] Raymond Aron, dans « Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique », thèse soutenue le 26 mars 1938 et publiée par Editions Gallimard Paris 1938, réédité en 1986, page 432.
[2] « L’Imaginaire Nationale » par Benedict Anderson, Ed. La Découverte, Paris 2006.
[3] Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient 1979 pages 161 à 202.
[4] « Voyages dans les royaumes de Siam de Cambodge et de Laos » Ed. Olizane, Genève 1989, page 239, première édition début des années 1860 dans la revue, « Le Tour du Monde ».
[5] Lewis Mumford, dans « La Cité à travers l’histoire », Editions du Seuil, Paris 1964, page 59.

2006-10-17

Comment libérer le Cambodge ? (1)

Nouvelles du Cambodge N° 0644-F

COMMENT LIBÉRER LE CAMBODGE DE LA DOMINATION VIETNAMIENNE ? (1)

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 16 octobre 2006

Nous remercions Naranh Kiri Tith pour son message très intéressant que nous reproduisons intégralement ci-dessous. Nous avons fait une enquête minutieuse auprès de nos compatriotes au Cambodge comme à l’étranger. A tous, unanimes, le problème à résoudre est : Comment libérer le Cambodge de la domination vietnamienne ?

Message de Naranh Kiri Tith :

« September 28, 2006
Dear Prasit:
Thank you for sending the letter by Julio Jeldres to the PM of Australia on Hun Sen coming visit to that country. I sincerely believe that Julio Jeldres is defending Cambodia's interests. But, I think he does tell the whole truth, especially on who brought Hun Sen to power. Sihanouk is the one. Without Sihanouk Hun Sen would not have an easy time. Now it is clear that Sihanouk (and Monique) is with Hun Sen 100 percent (please, look at all the supporting documents in my web site:
http://mysite.verizon.net/vzeof03b/).
Please, read also the documents pasted below to better get what I am trying to day. The major power have already decide to go stability than real reform in Cambodia, especially when they know that Sihanouk is behind Hun Sen 100 percent. One of the major problems with most Cambodians is the lack of knowledge of what other important countries leaders are doing regarding Cambodia's destiny. Best regards. N. Tith »


Les échanges démocratiques sur tous les sujets qui intéressent le passé, la situation actuelle et l’avenir de notre chère patrie sont indispensables pour éclairer et encourager les luttes multiformes pour libérer notre pays de la domination vietnamienne. Dans votre message ci-dessus nous relevons un passage très intéressant :

« One of the major problems with most Cambodians is the lack of knowledge of what other important countries leaders are doing regarding Cambodia's destiny. » Nous désirons préciser que « other important countries », sont principalement nos deux voisins le Vietnam, la Thailande et aussi les grandes puissances, en particulier le Japon, les Etats-Unis, la Chine et la France. Il est important de prendre aussi en compte les conflits de leurs intérêts géostratégiques. Il faut avoir dans l’esprit que nos deux voisins et toutes les grandes puissances ne pensent qu’à leurs intérêts égoïstes. Ils n’ont que faire de nos intérêts nationaux fondamentaux comme le montrent nos nombreuses expériences récentes : Sihanouk faisait confiance à la France et à la Chine, Lon Nol aux Etats-Unis. Ayons toujours à l’esprit la lettre testament de Sirik Matak refusant de fuire lâchement sa patrie avec l’ambassadeur des Etats-Unis en avril 1975[1].

Au sujet de la France, nous reproduisons ci-dessous un passage de l’article de Mak Phoeun, intitulé : « La frontière du Cambodge et le Vietnam du XVIIè siècle à l’instauration du protectorat français présentée à travers les chroniques royales khmères », dans le livre « Les Frontières du Vietnam », sous la direction de P. B. Lafont, Ed. L’Harmattan, Paris 1989, page 148 :

« En 1858, alors que les Français étaient en train d’opérer en pays vietnamien, le gouverneur de la partie khmère de Peam, l’Ukana Rajasetthi nommé Kaep, alla reprendre, sur ordre du roi Hariraks Rama (Ang Tuon), la province de Treang Troey Thbaung (viêt. Tinh-bien), et aussi attaquer les provinces de Bassac, de Preah Trâpeang, de Kramuon Sâr et de Moat Chrouk. Après l’accession au pouvoir en 1860 du roi Narottam – le Norodom des ouvrages européens – les chroniques royales khmères notent que ce monarque fit de ce même gouverneur son ministre de la guerre et lui confia de nouveau le commandement des troupes opérant au sud du canal de Prêk Chik. Dans une note rédigée par Doudart de Lagrée, celui-ci indique que le gouverneur Kaep, à la suite d’hostilités entre Khmers et Vietnamiens au sujet des Cam (Chams) et des Malais, poursuivit les Vietnamiens, Cam et Malais jusque dans Treang Troey Thbaung, s’y maintint, et envoya régulièrement le tribut à la cour d’Oudong « sans objection de la part des Annamites », et cela jusqu’à l’arrivée des Français, ce qui revient à dire que depuis les événements de 1858 les Cambodgiens étaient redevenus maîtres d’une partie de leurs anciens territoires situés au sud du canal Prêk Chik, notamment de cette province de Treang Troey Thbaung qui, partant de la partie centrale du canal Prêk Chik et englobant la région de Svay Tong (Tritôn), s’étendait au moins jusqu’au Phnom Thom (Nui-sâp) au pied duquel coule le canal de Krâmuon Sâr. »

Signalons que la frontière linéaire est une importation européenne. Dans l’article de Mak Phoeun cité ci-dessus, à la page 142, il y a une carte montrant l’implantation des Vietnamiens en Cochinchine entre le XVIIè siècle et la première moitié du XIXè siècle. Cette carte montre que les Vietnamiens n’étaient pas majoritaires avant l’arrivée des Français.

Une autre carte de l’Indochine dans le livre : « Un hiver au Cambodge Souvenirs d’une mission officielle remplie en 1880-1881 » par M. Edgar Boulanger, ingénieur des Ponts et chaussées, deuxième édition, revue et augmentée, Alfred Mame et fils Editeurs, Paris 1888, page 361, montre que les frontières de la Cochinchine sont très loin au Sud-Est des frontières actuelles.

Confirmation par un historien français :

« Avec l’occupation et l’installation des Français en Cochinchine – installation qui s’est parfois appuyée sur la complicité active des autorités et de la population cambodgienne locale. » En note : « C’est ce qui s’est passé dans la province de Soc Trang en partie rattachée, depuis 1840 seulement, à l’empire vietnamien où, pour réprimer l’hostilité des Vietnamiens, les Français remplacent partout les chefs et sous-chefs de cantons vietnamiens par des fonctionnaires cambodgiens. Une fois la paix revenue, la province sera réorganisée à la vietnamienne et le pouvoir local rendu aux Vietnamiens. »[2]

Ainsi, il faut considérer, comme une donnée constante de notre problématique, que les Grandes puissances défendent d’abord et avant tout, leurs intérêts géostratégiques. Dans ces conditions comment essayer de trouver les bases pour unifier nos compatriotes dans leurs luttes multiformes pour libérer notre pays de la domination vietnamienne ? Tel est le problème à résoudre.

Par contre, nous ne sommes pas d’accord avec votre affirmation : «The major power have already decide to go stability than real reform in Cambodia, especially when they know that Sihanouk is behind Hun Sen 100 percent.”

Sihanouk avait commencé sa descente aux enfers à partir du moment où il a accepté de rencontrer, le 2 décembre 1987, à Fère-en-Tardenois (France), Hun Sen, un inconnu sur le plan international et entièrement soumis aux ordres de Hanoi. C’était le Président français François Mitterrand qui était l’entremetteur. Est-ce un hasard ?

Quatre mois avant cette rencontre, un bimestriel cambodgien en langue française publiée à Bruxelles (Belgique) « Perspectives », dans son premier numéro daté : septembre – octobre 1987, a publié un article intitulé « Des Négociations et le Parti Communiste Vietnamien (PCV) » et signé « Sethik, 25 août 1987 »[3].

Cet article mettait en garde Sihanouk contre le piège tendu par le PCV en acceptant de rencontrer Hun Sen, en principe sans condition, mais en réalité aux conditions de Hanoi.

Maintenant, Sihanouk est politiquement mort. Dire que la position des grandes puissances dépend de son attitude envers Hun Sen, n’est-il pas une façon de lui donner trop d’honneur et de valeur ?

Maintenant Ranariddh, à son tour, est mort, aussi, politiquement. Mais nous pouvons tirer des leçons de ses activités qui ont abouti à cette fin. Lors des élections de 1993, Ranariddh était sorti vainqueur. Mais il n’avait pas su mettre des gens de valeur, capables de contrer les agissements du clan Hun Sen. Le seul homme capable de faire un bon travail était Rainsy, placé à un des postes clefs du vrai pouvoir : le ministère de l’Economie et des Finances. Malheureusement peu de temps après Ranariddh limogea Rainsy, non seulement de son poste ministériel, mais aussi de son siège de député, contre tous les principes démocratiques les plus élémentaires. Le ministère est occupé aussitôt par un féal du PCV. Ce faisant Ranariddh semait en plus la division au sein de son propre parti au seul bénéfice du clan Hun Sen. Le PCV va utiliser cette division pour affaiblir progressivement la cohésion au sein du Funcinpec et finalement le détruire.

Mais après les élections de juillet 2003, Ranariddh, en créant avec Rainsy, l’Alliance des Démocrates, redonnait espoir aux patriotes cambodgiens. Cette Alliance a tenu un an. Finalement Hun Sen était obligé d’utiliser un nouveau stratagème avec toujours des promesses jamais tenues. En juillet 2004, Ranariddh a accepté de donner les pleins pouvoirs au clan Hok Lundy – Hun Sen, contre des promesses qui seront rapidement trahies. Pour vaincre les réticences au sein même de son parti, Ranariddh faisait encore une fois de nouvelles entorses aux principes démocratiques les plus élémentaires, en imposant au parlement des votes bloqués à main levée sur des sujets aussi fondamentaux que les amendements à la constitution et la formation conjointe du parlement et du gouvernement. C’est une nouvelle trahison envers Rainsy. Ce faisant, Ranariddh savait-il qu’il signait sa mort politique ? C’est maintenant chose faite et Ranariddh est obligé de s’expatrier. Le Funcinpec lui survivra-t-il ?

Maintenant, le PCV est en train de semer la division au sein du SRP. Rainsy saura-t-il tirer les leçons des activités de Sihanouk et de Ranariddh ? Rainsy a-t-il un programme politique, autre que la lutte pour démocratie et contre la corruption ? Rainsy a-t-il une équipe, un état major solidement uni autour des objectifs bien définis ? Les hommes de Rainsy a-t-il des relations avec des intellectuels cambodgiens et internationaux de haut niveau, en particulier avec des historiens ? Rainsy a-t-il des relations avec des chefs d’entreprises et des hommes d’affaires nationaux et internationaux, en particulier avec des grandes sociétés pétrolières ? Rainsy se laisse-t-il berner par les promesses fallacieuses de Hun Sen ?

Quelles leçons, Rainsy tire-t-il des récentes votes de ses parlementaires ?

a) Des parlementaires du SRP viennent de voter une loi obligeant les parlementaires à s’autocensurer. Cette loi est la seule en ce genre dans un parlement démocratique.

b) Des parlementaires du SRP viennent de voter une loi sur l’adultère, réglementant ainsi la vie privée des Cambodgiens.

c) Lors de ces votes, les parlementaires du SRP n’étaient pas unis.

Le clan Hok Lundy–Hun Sen ne va-t-il pas exploiter ces failles pour accentuer les contradictions au sein du SRP, pour finalement le détruire comme c’était le cas du Funcinpec ?

(À suivre…)

[1] Lettre de Sirik Matak à l’ambassadeur des Etats-Unis :
Excellence et cher ami,
Je vous remercie très sincèrement pour votre lettre et pour votre offre de nous conduire vers la liberté. Hélas ! Je ne puis partir d'une manière aussi lâche.
Quant à vous et à votre grand pays, je n'aurais jamais cru un seul instant que vous abandonneriez un peuple qui a choisi la liberté. Vous nous avez refusé votre protection ; nous ne pouvons rien y faire. Vous partez et je souhaite que vous et votre pays trouvent le bonheur sous le ciel.
Mais, notez-le bien, si je meurs ici, dans mon pays que j'aime, tant pis, car nous sommes tous nés et nous devons mourir un jour. Je n'ai commis qu'une erreur, ce fut de vous croire et de croire les Américains.
Veuillez accepter, Excellence, mon cher ami, mes sentiments loyaux et amicaux.
Sirik Matak
[2] « Le Cambodge et la colonisation française », par Alain Forest, Edition L’Harmattan, Paris 1980, page 434.
[3] Les lecteurs intéressés par le sujet de ce document sont invités à écrire à: khemarajati@sympatico.ca

Le bal tragi-comique continue

Le bal tragi-comique continue
(le Journal du dimanche - 13 octobre 2006)

Phnom Penh, Cambodge

Patrice Trapier

(Photo : Le quartier du Palais royal de Phnom Penh).

Choses vues et entendues dans un Cambodge en transition débridée du communisme vers la loi du marché et parfois même la loi de la jungle

Quelques jours à Phnom Penh suffisent à se poser une question: pourquoi, dans la presse occidentale, ne parle-t-on jamais du Cambodge autrement que pour se rappeler du génocide et évoquer l'hypothétique procès des derniers Khmers rouges encore en vie ? Il se passe pourtant bien des choses dans ce petit pays, longtemps protectorat français, sous assistance économique internationale (50% du budget national) et dirigé depuis vingt ans par Hun Sen, un « Premier ministre de fer » installé par les communistes vietnamiens. En matière de corruption, de misère, d'atteintes aux droits de l'homme, le Cambodge mériterait bien des enquêtes.

Le chef de la police se met à table

Dernier scoop (mondial, mais oui...) de Sylvaine Pasquier de L'Express, cet été: l'interview de l'ancien chef de la police de Phnom Penh, Heng Pov, qui a fui le pays avec pas mal de documents très compromettants pour le régime de Hun Sen, notamment des révélations sur le trafic de drogue toléré voire plus par les autorités et des meurtres commandités par le pouvoir.

Certes, vu ses anciennes fonctions, le bonhomme n'est pas un premier prix de vertu et la justice cambodgienne l'a même condamné, fissa, à dix-huit de prison pour le meurtre d'un juge de Phnom Penh. Mais il y a peu de chance qu'il ait jamais agi sans les ordres du pouvoir cambodgien.

Une bataille fait rage actuellement pour savoir si la Malaisie va renvoyer le policier au Cambodge malgré l'absence de traité d'extradition entre les deux pays. Des émissaires de Phnom Penh étaient début octobre à Kuala Lumpur pour tenter de ramener la brebis galeuse au pays. Mais si jamais Heng Pov réussissait à trouver l'asile auprès d'une démocratie occidentale et pire, s'il commençait à produire les documents qu'il assure avoir mis en lieu sûr, le pouvoir cambodgien a du souci à se faire.

Un seul exemple: l'attentat à la grenade organisé en 1997 contre une manifestation du parti d'opposition de Sam Rainsy, le PSR. L'opération, selon Heng Pov, aurait été commanditée par les hommes de Hun Sen et des preuves existeraient. Or un citoyen américain a été blessé lors de cette attaque. D'où la possibilité de poursuites internationales qui font très peur à Hun Sen.

Après avoir dirigé son pays d'une main de fer pendant deux décennies, le Premier ministre, un ancien Khmer rouge passé à l'ennemi vietnamien en 1977, cherche désormais à se faire accepter par la communauté internationale. Il doit effectuer très prochainement un voyage officiel en Australie, c'est sa première visite d'Etat depuis qu'il est en poste!

Des poursuites judiciaires ruineraient tous ses efforts en le rendant infréquentable. L'inquiétude est telle au plus haut niveau que la rumeur court que les protecteurs vietnamiens pourraient finir par remplacer Hun Sen par un ou des hommes plus présentables (et éventuellement plus dociles).

Un juge a mal au ventre

La défection du chef de la police d'Hong Kong produit déjà ses effets à Phnom Penh. Un très important procès en appel devait se dérouler à partir du vendredi 6 octobre. Il a été reporté, sine die, sous un prétexte grotesque.

Résumons l'affaire: en 2004, un leader syndical très charismatique, Chea Vichea, est assassiné. Cinq jours plus tard, deux jeunes hommes sont arrêtés par la police et présentés comme ses meurtriers. Leur mobile? Inconnu. L'un d'eux a un alibi en béton? Peu importe, la justice cambodgienne, corrompue ou aux ordres, a autre chose à faire qu'enquêter sérieusement. Les deux hommes, malgré leurs dénégations, sont présentés connue ayant avoué. Eux assurent qu'on les a torturés. Ils sont condamnés en première instance à vingt ans de prison.

Leur procès en appel devait commencer vendredi 6 octobre. Mais un des trois juges s'est fait porter pâle: « J'ai mangé quelque chose de mauvais jeudi soir et j’ai eu de fortes diarrhées. » Mais oui, c'est ainsi que le magistrat, pour mieux se justifier, a détaillé ses maux d'estomac. On aurait sûrement pu le remplacer mais, manque de chance, tous ses collègues étaient pris. Courage, fuyons! Il faut dire que l'imbroglio Heng Pov incite les autorités à la plus grande prudence. L'ancien chef de la police a déclaré qu'on l'avait obligé à arrêter les deux hommes qui ne sont absolument pas coupables. Donc, pour l'appel, on verra plus tard.

Surtout, une marchande de journaux vient de ruiner la version officielle en témoignant, juste avant le procès en appel: selon ce témoin de dernière minute, les deux accusés n'ont rien à voir avec l'assassinat du syndicaliste, on les a arrêtés pour maquiller une affaire d'Etat en crime crapuleux. Chea Vichea et les syndicats liés à l'opposition commençaient à fortement gêner le pouvoir: la preuve, son adjoint a été, lui aussi, assassiné, deux semaines plus tard.

Les communistes éliminent un dangereux agitateur

On n'en a plus l'habitude en Europe mais un mouvement ouvrier puissant est en train de se développer dans ces pays qui profitent de la mondialisation. Dans le cas du Cambodge, les entreprises de textile poussent comme des champignons. Chea Vichea et ses troupes ont mis le bazar en organisant grèves et manifs. Ils ont obtenu notamment de faire grimper le salaire mensuel de 27 à 47 dollars, mais aussi de limiter les coups et les brimades, d'abolir les heures supplémentaires obligatoires et non payées, d'organiser un début de protection sociale. Le pouvoir néo-communiste allié avec les capitalistes du sud-est asiatique voulait faire taire Chea Vichea, ce dangereux agitateur.

Le témoignage de la marchande de journaux est reproduit dans la presse de Phnom Penh: le 22 janvier 2004, à 9h15, elle a vu très distinctement un tueur professionnel s'approcher du syndicaliste et l'abattre froidement avant d'être récupéré par un complice à moto. Ces deux-là n'ont rien à voir avec les condamnés. Pourquoi les déclarations de la marchande de journaux arrivent-t-elles si tard, près de trois ans après le crime ? Elle n'aurait jamais pu parler si elle n'avait réussi à prendre la fuite pour l'étranger.

Ainsi va la justice au Cambodge.

Peuvent voter les électeurs... du Parti

On parle aussi beaucoup de trucage des élections. Celles de 1998 avaient fait l'objet d'une contestation de plusieurs semaines, l'opposition mettant au défi le parti au pouvoir de Hun Sen, le PPC, de recompter les voix, ce qui ne fut jamais accepté malgré de nombreuses manifestations réprimées dans le sang.

Mais la tricherie peut démarrer bien en amont, suivre des chemins plus tortueux et subtils. Jusqu'au 20 octobre, se déroule l'inscription sur les listes électorales pour les municipales de l'an prochain. Le PPC au pouvoir contrôlant 90% des districts, communes et villages, ces inscriptions ne s'opèrent pas de la manière la plus neutre qui soit. Dans les campagnes, les ex-communistes récupèrent tous les documents de leurs partisans, proposant (inutile de préciser qu'il vaut mieux accepter) à ceux qui ne sont pas encore membres du parti d'adhérer moyennant quoi on leur donnera des papiers d'identité gratuits, un bien précieux, et la carte d'électeur. A charge pour le converti de « bien voter ».

Un chef de village, dans le nord du pays, invite par haut-parleur... les électeurs PPC à s'inscrire sur les listes et eux seuls. Dans une île où les pêcheurs sont acquis à l'opposition, le chef du village PPC fait son possible pour ne pas les enregistrer.

Les plaintes s'accumulent devant la commission électorale nationale où le pouvoir a accepté pour la première fois de laisser quelques strapontins au PSR de Sam Rainsy et au Funcinpec du prince Norodom Ranariddh, le fils de Norodom Sihanouk (au Cambodge, le nom de famille est situé avant le prénom). Les discussions donnent lieu à des empoignades d'une grande complexité: faut-il que le votant se présente en personne pour s'inscrire ou peut-il déléguer ses pouvoirs à un membre du parti qui rassemble les dossiers par paquets de cent ? Faut-il une photo ou non ?

Ce qui paraît banal dans un pays démocratique, à majorité urbaine, l'est bien moins pour une population jeune, encore fortement rurale ? Comment quitter sa rizière, faire des dizaines de kilomètres, souvent sans voiture, perdre une journée presque entière pour aller s'inscrire dans un délai de vingt jours avec des ouvertures de bureau complètement aléatoires?

Et encore, très souvent, à la manière des pays communistes, le chef-lieu de district est en même temps le siège du parti dominant (le PPC) et celui de la police. La chute du Mur de Berlin n'a pas supprimé partout la confusion Etat-Parti.

La loi de la jungle version communiste

Les démocrates (l'opposition et les associations) se battent sur le terrain des droits de l'homme, de la corruption, de la déforestation qui accentue les déséquilibres climatiques et enrichit la contrebande d'Etat, les expulsions des paysans ou des squatters dans les villes.

Début octobre, plusieurs associations de droits de l'homme ont manifesté devant l'assemblée nationale pour réclamer le vote d'une loi anti-corruption, la création d'une autorité indépendante chargée d'enquêter sur des fortunes soudaines et considérables d'hommes politiques et l'obligation pour tout élu ou responsable de déclarer l'état de sa fortune. Les esprits les plus avertis font remarquer que cette déclaration devrait s'étendre à tous les proches, familles, collaborateurs et même petit personnel... On connaît des ministres passés maîtres dans l'art de se choisir des prête-noms les plus surprenants (chauffeurs, cuisinières).

En tout cas, les pays donateurs (Etats-Unis, Europe et Japon, entre autres) commencent à trouver moyennement amusant que les milliards de dollars donnés au Cambodge depuis vingt ans pour sa reconstruction finissent le plus souvent dans la poche de politiciens véreux.

Cela peut paraître surprenant, mais pas tant que ça finalement: quand les communistes ont réussi à se maintenir après la chute du communisme, ils ont partout prouvé leur immense talent dans le brigandage, les ventes illégales des biens d'Etat, l'alliance avec des chefs d'entreprise sans foi ni loi. Leur expérience de l'autoritarisme politique, leur absence de scrupules, leur habitude de museler l'opinion publique, leur donne une certaine expérience dans l'art de marier mafia et ultra-libéralisme. Ces derniers jours, les ambassadeurs américains et japonais sont sortis de leurs gonds, expliquant que cela fait quinze ans que l'on parle d'une loi anti-corruption et que rien ne vient. Dans ce concert, la voix de la France est, comme très souvent, inaudible.

Les taxis et le gouverneur

Une histoire narrée la semaine dernière par la presse cambodgienne en langue anglaise et française, plus libre que les journaux édités en khmer, mais dont la diffusion dans les campagnes est infinitésimale: la centaine de chauffeurs de taxi de la province de Takeo (sud du pays) protestent contre l'obligation qui leur est faite d'emprunter une nouvelle route provinciale beaucoup plus chère que la nationale 2. Auparavant, les taxis devaient acquitter 0,25 $ pour la route publique; dorénavant, le tarif pour le nouveau tronçon est trois plus cher (0,83 $).

Le plus scandaleux: ce sont les forces de police, sur ordre du gouverneur, qui interdisent l'accès de la route publique afin que les automobilistes soient obligés de prendre le tronçon privé. Les taxis sont furieux, ils protestent contre le surcoût qui, additionné à la flambée du prix de l'essence, est loin d'être négligeable quand on connaît le faible pouvoir d'achat des Cambodgiens.

Le gouverneur du Parti a livré des explications alambiquées sur la raison de son coup de pouce en faveur de la société privée Leng Sovanrith. Coût des investissements, fiabilité de la nouvelle route... Bla-bla-bla... La vraie raison de cette alliance du marxisme et du grand capital, c'est la coquette commission que le gouverneur touche sur les futurs bénéfices du constructeur de routes à péage.

Les instit's et madame le ministre

La corruption mine le pays, de haut en bas et inversement. « Il y a la corruption de survie et celle de prédation », distingue le député d'opposition, Sam Rainsy. Corruption de survie ? Les infirmières ou les médecins qui exigent de leur patient une rallonge pour la moindre intervention. Si vous ne sortez pas la monnaie, pas de pansement, pas de prise de sang, pas d'examen, pas d'opération.

Corruption de survie? Les instituteurs qui réclament chaque matin 500 riels (10 centimes d'euro) à leurs élèves pour les faire travailler, corriger leurs copies, les noter et le mercredi, c'est 500 riels supplémentaires pour les friandises. Les salaires des fonctionnaires, des magistrats, des médecins sont ridiculement bas.

Corruption de prédation? Madame le ministre de la condition féminine possède des terres un peu partout dans le pays. La première semaine d'octobre, une cinquantaine de paysans de Kompong Speu (centre du pays) ont déboulé devant l'Assemblée nationale, à Phnom Penh, pour protester contre le fait qu'ils venaient d'être chassés de leurs terres. Madame le ministre a obtenu le prêt d'une troupe de parachutistes afin de raccompagner les récalcitrants, de nuit si possible, jusqu'à chez eux.

Façon de parler! Ceux qui sont restés là-bas, dorment sur des nattes, sous un arbre, dans un hamac. Ils n'ont plus rien. Madame le ministre a vraiment bien fait les choses : elle a vidé des dizaines de familles après les avoir laissé défricher la jungle et valoriser la terre par des plantations. Elle a ensuite demandé à ses sbires d'incendier les maisons mais, raté, il pleuvait (c'est la fin de la saison des pluies) ; alors, les miliciens ont pris machettes et haches et des bicoques, ils ont fait du petit bois.

La manœuvre pour faire taire les déshérités a échoué. Le Parti Sam Rainsy (PSR) a empêché l'expulsion des familles sans-terre, il les a même accueillis au siège du PSR où ils campent depuis quelques jours. Madame le ministre assure que ces misérables sont de mauvaise foi, que certains sont même des escrocs, qu'ils ont reçus des indemnités qu'ils cachent. Salauds de pauvres! C'est le monde à l'envers: la ministre communiste joue les exploiteurs et le député de droite libérale défend les pauvres. Au moment où il ravale la vitrine, le Premier ministre, Hun Sen, n'est pas content de cette (mauvaise) publicité. Il a demandé à sa ministre qu'elle fasse preuve d'un peu de générosité dans ses propositions de relogement et d'indemnisation.

« Adieu ma concubine! »

La politique cambodgienne s'offre aussi quelques bouffonneries. A une large majorité (avec le concours d'une grande partie de l'opposition), les députés ont voté une loi restreignant le champ de leurs propres libertés et notamment de la levée de leur immunité en contrepartie de quelques avantages financiers dont une retraite à peu près assurée (« loi d'auto-castration » a analysé un connaisseur des choses cambodgiennes).

Il y a eu aussi la loi de pénalisation de l'adultère. Les partisans de cette surprenante mesure estiment qu'on devait faire quelque chose pour les femmes trompées. Ce sera donc « Adieu ma concubine » ou « bonjour la prison ». Enfin, si jamais cette loi est faite pour être appliquée, ce qui reste à démontrer. Il y aurait pourtant autre chose à faire que de pénaliser l'adultère, faire avancer les mentalités, la condition des femmes et surtout l'hygiène. Il est vrai que beaucoup d'hommes, dans les villes, ont une maîtresse institutionnalisée (quand ils ont les moyens et le prestige) ou qu'ils fréquentent des prostituées (pour les moins en vue).

Ce serait déjà un immense progrès si ces hommes ne ramenaient pas chez eux toutes sortes de maladies. Au Cambodge, le taux de sida chez les prostituées est très élevé. Les épouses légitimes voient avec terreur leur seigneur rentrer et exiger, après ses escapades, d'assumer ses devoirs conjugaux. A tout prendre mieux vaut être vraiment délaissée pour de bon !

On vitriole les maîtresses

Non, cette loi sur l'adultère a deux buts cachés.

C'est d'abord un geste de ces messieurs les ministres envers leurs femmes. Eux aussi ont des « petites amies », souvent jeunes, souvent danseuses, chanteuses, actrices. Il est de tradition millénaire que le roi, les princes et leurs conseillers choisissent dans les rangs du Ballet royal celles qu'ils veulent mettre dans leur lit. Mais comme les mœurs changent, ces idiots s'amourachent parfois de leur deuxième femme, ils l'installent dans des maisons luxueuses, tous frais payés, leur font des enfants et imagine même de quitter leur légitime pour refaire leur vie.

Autrefois, les maîtresses étaient une démonstration de puissance comme une belle maison, une belle voiture. Le Cambodge se modernise, se met à l'heure des couches moyennes occidentales et les épouses commencent à sérieusement s'inquiéter. Et puis, tout simplement, sous la pression de l'évolution des mœurs, elles ne supportent plus ce que leurs mères ou grands-mères ont patiemment accepté: le harem institutionnalisé.

Alors, plusieurs femmes de ministres ont trouvé une solution radicale. Elles ont demandé à leurs gardes du corps de régler la question à leur manière. C'est ainsi que l'hebdomadaire français, L'Express, a pu écrire que la première d'entre elles aurait fait trucider Piseth Pilika, l'une des plus grandes stars du Cambodge. Une autre maîtresse a survécu aux balles qu'un tueur lui a adressées, elle a seulement... été défigurée mais sa mère a péri dans l'attentat. Une femme de ministre, au comble du désespoir, s'est déplacée en personne pour aller trouver sa rivale sur un marché. Le garde du corps a projeté la maîtresse à terre, l'épouse de ministre lui a planté son talon dans le dos et versé... quatre litres d'acide. Il fallait donc faire un geste pour la calmer le courroux de ces dames. Une militante féministe de premier plan admet que c'est une loi sur l'adultère est étrange, liberticide mais qu'à tout prendre, « mieux vaut la prison au crime ».

Il existe néanmoins une deuxième raison à cette loi.

Où est passé le prince Ranariddh ?

L'une des figures de l'opposition, certes sur le déclin mais encore président du Funcinpec, le prince Norodom Ranariddh, passe le plus clair de son temps à l'étranger entre ses cours à la faculté de droit d'Aix-en-Provence (poste qu'il a décroché pendant l'exil des années 1975-1991 et qu'il a conservé après son retour au Cambodge) et la Malaisie où il a installé sa nouvelle (et jeune) amie qui lui a fait un enfant. Sa femme officielle, la princesse Marie, est restée à Phnom Penh dans la résidence du prince, elle ne décolère pas, elle a décidé de ruiner le prince à tous points de vue, financier, politique, etc...

Hun Sen regarde avec délectation le Funcinpec se déliter et même s'il peut y contribuer en aidant la princesse Marie, il ne s'en prive pas. Autrefois, le Premier ministre réglait les questions politiques à coups de roquettes, de putschs, d'assassinats. Avec l'âge, il s'est un peu calmé. Sur le long terme, le nombre d'actions meurtrières a baissé, année après année. Hun Sen découvre les vertus de la politique à l'occidentale: jeter la zizanie chez l'adversaire.

Pourquoi, par exemple, la princesse Marie ne remplacerait-elle pas son mari à la tête du mouvement royaliste ? Est-il convenable qu'un député ne mette quasiment jamais les pieds au Parlement ? Surtout si c'est un ancien Premier ministre (1993-1997) !

Encore plus si c'est l'ancien président de l'Assemblée nationale! Fera-t-il seulement le déplacement pour l'inauguration du nouveau bâtiment dont il a décidé la construction, quand il était encore à Phnom Penh, et sur laquelle planent de forts soupçons de corruption ? Et tous ces royaux, ne devraient-ils pas se contenter de fonctions honorifiques au lieu de truster les postes de responsabilités politiques ? Il faut dire que Norodom Sihanouk a fait des enfants partout et si l'on ajoute les neveux, nièces, cousins, cousines, on ne sait plus quoi faire de toute cette tribu.

La Sainte-Trinité khmère

Hun Sen dispose de quelques alliés objectifs dans le camp royaliste. Un cousin de Ranariddh, le prince Sisowath Thomico, a créé un parti concurrent au Funcinpec et posé carrément la question: devant la faiblesse des dirigeants royalistes, (sous ­entendu du cousin Ranariddh), ne faudrait-il pas faire revenir « tonton » Sihanouk qui, malgré son âge avancé, ses cancers chroniques, continue d'écraser la vie publique cambodgienne?

A l'ombre de Sihanouk, rien n'a vraiment poussé convenablement. Son fils aîné, Norodom Ranariddh, n'a cessé de décevoir, multipliant les atermoiements et les virages à 180°, un jour ennemi, le lendemain allié d'Hun Sen. Le plus jeune fils Norodom Sihamoni, récemment nommé roi à la place de Sihanouk, ne relève pas le niveau. Le pauvre préfère la danse à la politique. Dans tous les bâtiments officiels, quand on voit ces trois portraits alignés, les esprits sarcastiques assurent que le Cambodge a réinventé la Sainte Trinité avec le roi-père, la reine-mère et, tout en bout de table, le roi-fÏls.

« Préparez vos cercueils ! »

Hun Sen, tout de même, ne pouvait laisser passer sans réagir la perspective d'un retour de Sihanouk (qui, avant le coup d'Etat de 1970, était assez fréquemment chef du gouvernement et même quand il laissait la place à un autre pendant quelques mois, c'était toujours lui qui, en coulisses, régentait tout). Le Premier ministre a fait mine de tonner: si les princes m'ennuient, je leur coupe les vivres. Diable, imagine-t-­on la reine Elisabeth ou le prince Charles prendre la tête d'un parti concurrent de Tony Blair ou de David Cameron?

D'une phrase, Hun Sen a même démontré que son évolution vers plus de modération était à prendre avec de sérieuses pincettes. Tel la fable du scorpion dont la nature est de tuer quelle qu'en soient les conséquences, l'ancien chef régional khmer Rouge a menacé carrément: « Ceux qui ont de tels projets peuvent préparer leurs cercueils et ils savent que je ne plaisante jamais. » La politique au Cambodge, ça fait peur, parfois.

Sihanouk arrête son cinéma

Mais le débat sur la royauté n'est pas si illégitime. Sihanouk sait très bien que sa marge de manœuvre politique s'est grandement réduite. De toute façon, sa légendaire énergie n'est plus la même. Il a même décidé, c'est dire, d'arrêter de tourner des films. Depuis les années soixante, en parallèle de ses obligations officielles, Norodom Sihanouk était réalisateur. Il faisait régulièrement tourner sa fille, la princesse Bopha Devi, certains de ses ministres dont le général Tioulong, signataire des accords d'indépendance en 1954, dans des bluettes khméro-romantiques qui remportaient des prix de courtoisie dans des festivals en Yougoslavie. Cette fois, c'est fini, plus de cinéma, plus de saxophone jusqu'à l'aube avec tous ces courtisans qui se pâmaient d'admiration mais en fait n'avaient qu'une envie, aller se coucher.

Il n'y avait qu'un personnage aussi hors norme que Sihanouk pour masquer cette contradiction d'une monarchie de droit divin mais en même temps élective (le roi est désigné par un haut conseil d'une dizaine de membres) et dont les descendants des Dieux se mêlent des petits tripatouillages politiciens. Ou les royaux rentrent dans leurs palais, ils se conduisent comme une référence incontestable et la monarchie constitutionnelle verra enfin le jour au Cambodge. Ou bien la vieille tentation républicaine n'est pas loin.

Même Sam Rainsy en convient, lui le fervent défenseur de Sihanouk, qui mit toute son énergie au service du Funcinpec avant de créer son propre parti, a raillé les ambitions politiques du prince Thomico : « Il peut porter le coup de grâce au Funcinpec mais ce n'est pas très glorieux de tirer sur une ambulance. Moi, je respecte les principes de la Croix-Rouge. » En réalité, Sam Rainsy est en train de ravir la place d'opposant numéro 1 à son ancien allié, le prince Ranariddh.

Sihanouk n'a pas été plus aimable avec son neveu Tomikho, en suggérant que cette météorite politique s'écraserait bientôt: « En réalité, je ne crois pas qu'il puisse devenir le Ségolène Royal cambodgien. »

Non au tourisme judiciaire!

Norodom Sihanouk préfère garder ses forces pour des sujets autrement sérieux. La perspective d'un procès des Khmers Rouges ? Pour le roi, c'est de la rigolade. Un budget de 56 millions de dollars pour une juridiction mixte (moitié de magistrats étrangers, un juge français, un procureur canadien; moitié de magistrats cambodgiens) qui devrait juger, à ce jour, un seul accusé: Ta Duch, le tortionnaire du camp S21, décrit par François Bizot dans Le portail. L'autre grand tortionnaire, Ta Mok, dit « Le boucher » vient de mourir. « Kafka triomphe déjà », assure « le roi-père ». Sihanouk s'inquiète sur « le coût du super-tourisme de luxe des juges ».

Un vrai examen de conscience historique, politique et judiciaire serait pourtant nécessaire. L'ex-Yougoslavie prouve qu'il peut être dangereux de refermer le couvercle sur les traumatismes anciens qui finissent par resurgir, ravivés, des décennies plus tard. Normalement, il ne devrait pas y avoir que Duch dans le box des accusés. Quid des ralliés du nouveau régime, Ieng Sary, ministre des affaires étrangères de Khmers rouges ou Kieu Samphan, président du Kampuchea démocratique ? Quid de l'actuel ministre de l'Economie, ancien conseiller de Pol Pot ? Quid du ministre des affaires étrangères qui agite la menace de procès en diffamation dès que l'on évoque ses exactions pendant la tragédie ? Et ces chefs intermédiaires, tel Hun Sen avant son départ pour le Vietnam, qui ont souvent appliqué sur le terrain la politique de Pol Pot avec zèle?

La réconciliation et le devoir de justice sont difficiles à concilier. Sihanouk préférerait qu'on privilégie l'unité nationale et que l'on passe à autre chose: incinérons tous les os des cadavres exposés aujourd'hui encore dans les musées du génocide. C'est la seule façon, assure-t-il, que « les âmes errantes échappent à leurs tourments et accèdent au sokkatephoup, l'apaisement total ». Mais le bouddhisme peut-il être d'aucun secours pour digérer cette tragédie (près de deux millions de morts sur sept millions d'habitants au total) ?

« Zidane, il a frappé »

Norodom Sihanouk a toujours aimé étonner. Il continue à alimenter son site internet en petites phrases assassines et déclarations péremptoires. Parfois même, il fait des piges pour des journaux. Ainsi, en juillet, il a réservé à Cambodge soir la primeur de ses analyses footballistiques sur de la finale France-Italie de la Coupe du monde. Quatre extraits, pour terminer, qui valent le détour :

1/ « Cette équipe de France « domenekienne » était capable d'effacer ses défauts... et de vaincre, menée par le mythique, inimitable, inégalable Zidane...

2/ « Face à l'Italie, la France a encore montré au monde qu'elle sait se hisser tout au sommet de l'Himalaya, de l'Everest du football...

3/ « Cela dit, l'Italie mérite d'être championne du monde car elle est très forte; brillante et... étincelante. Ses joueurs sont des athlètes et des techniciens au « top » niveau. Beaucoup sont des beaux gosses comme les Apollon, des sculpteurs de la Grèce et de la Rome antique.

4/ « Ce coup de tête (de Zidane), au lieu de ternir la popularité et la gloire de ZZ n'a fait que le rendre plus attachant encore. Zizou sait faire le « Zorro » quand il rend justice... sans méchanceté. »

Un style de commentaires sportifs comme on n'en faisait plus depuis trente ans!

(Photos titrés) …

2006-10-12

Cambodge : Assez de promesses vides

Nouvelles du Cambodge N° 0644-F

Human Rights Watch

CAMBODGE : ASSEZ DE PROMESSES VIDES, IL FAUT DES PROGRÈS TANGIBLES

Les bailleurs de fonds doivent exiger du gouvernement qu'il respecte ses engagements

(5 octobre 2006) — Cinq grandes organisations internationales d’Asie, d’Europe et des Etats-Unis ont déclaré aujourd’hui que les bailleurs de fonds internationaux du Cambodge devaient faire plus pour obliger le gouvernement de ce pays à respecter ses engagements à protéger les droits humains. Il faut également lutter contre la corruption, et assurer la protection des terres et des ressources naturelles essentielles à la vie de nombreux Cambodgiens.

Les ambassadeurs des pays donateurs – qui apportent au Cambodge la moitié de son budget annuel – doivent se retrouver à Phnom Penh jeudi prochain pour faire un bilan semestriel des progrès du gouvernement suite aux engagements de réformes pris lors de la dernière réunion.

La déclaration, publiée en commun par Human Rights Watch, Global Witness, FORUM-ASIA et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), fait suite à une lettre que le groupe a adressé aux donateurs au début de cette année, avant la réunion annuelle de leur Groupe Consultatif (GC) en mars.

« Depuis plus d’une décennie, le gouvernement cambodgien se moque des donateurs, promettant des réformes qu’il n’applique pas », affirme Brad Adams, directeur de la division Asie pour Human Rights Watch. « Ce ne sont pas les donateurs qui sont lésés par les attaques sur les défenseurs des droits du travail, un pouvoir judiciaire politisé et une corruption rampante, ce sont les citoyens cambodgiens pauvres et marginalisés qui paient le prix d’une mauvaise gouvernance et du peu d’insistance de la part des donateurs en faveur d’un changement. »

Les cinq organisations ont renouvelé leur appel invitant les donateurs à augmenter l'aide qu'ils apportent via des canaux non-gouvernementaux à la promotion des droits humains, du développement, de l'Etat de droit, de la lutte contre la corruption et de la liberté de la presse. Le soutien au budget de l'Etat et l'aide au développement devrait dépendre des facteurs suivants :

  • Garantir les droits des individus et des organisations, de défendre et promouvoir les droits humains, y compris le droit de critiquer et protester pacifiquement contre les politiques du gouvernement, conformément au Pacte sur les droits civils et politiques et à la Déclaration de l'Assemblée générale des Nations unies sur les Défenseurs des droits de l'Homme de 1998.
  • Abroger les dispositions concernant la diffamation, les écrits calomnieux, la désinformation, et toutes les autres dispositions du droit pénal qui criminalisent la liberté d'expression telle que protégée dans le droit international.
  • Créer un Comité national sur les élections indépendant et restructuré.
  • Libéraliser les règles de propriété des médias électroniques, y compris pour permettre aux diffuseurs de médias privés critiques d'être aussi puissants que les stations privées pro-gouvernementales.
  • Se conformer pleinement aux engagements pris par le Groupe consultatif 2004 de s'attaquer à la corruption et au mauvais usage des ressources naturelles et des autres biens publics. Cela implique notamment la révélation publique de toute l'information relative à la gestion des terres, des forêts, de la pêche et des ressources minérales, ainsi qu'à la localisation des zones de développement militaires.
  • Donner effet à l'engagement pris d'annuler tous les permis d'exploitation et concessions attribués illégalement.
  • Adopter des lois anti-corruption et sur la transparence des actifs conformes aux standards internationaux et nommer un auditeur externe international indépendant pour contrôler les finances du gouvernement.

Depuis la dernière réunion des donateurs en mars 2006, le gouvernement n’a fait aucun progrès tangible pour respecter ses engagements. Les tribunaux continuent d’organiser des simulacres de procès. Le gouvernement commet des abus en toute impunité, et la saisie des terres par des militaires haut placés et des intérêts privés se poursuit au même rythme.

« Les promesses du gouvernement cambodgien à réduire la pauvreté sont sans fondement si les paroles ne sont pas suivies par des actions » a déclaré Patrick Alley de Global Witness. « Les pays donateurs doivent expliquer clairement que la poursuite de l’aide dépend de la volonté du gouvernement cambodgien à tenir ses promesses. Dans le cas contraire, toute la mise en place de jalons pour la réforme n’est qu’une mascarade. »

Les Cambodgiens continuent de sombrer dans la pauvreté et d’être privés de leurs terres. Le gouvernement refuse de mettre fin à une corruption éhontée de la part des officiels et de réformer un système judiciaire qui a l’habitude de faire passer la politique en premier, de faire taire les critiques, et de dépouiller les gens de leurs terres. Au cours de leur dernière réunion, les pays donateurs ont insisté sur le fait que l’adoption d’une loi anti-corruption forte était le minimum qu’ils attendaient du gouvernement, mais même cette étape modeste – pourtant en discussion depuis 1995 – n’a toujours pas été franchie.

Depuis la réunion du GC en mars dernier, les plus hauts responsables du gouvernement n’ont cessé de passer des contrats illégaux permettant à des compagnies privées de déboiser les forêts sous prétexte du développement des plantations, portant atteinte aux moyens de survie des habitants locaux et ignorant le moratoire sur les coupes dans les concessions d’exploitation du bois. Il s’agit d’une violation de la Loi sur les Terres du Cambodge et d’un récent sous-décret sur les concessions économiques de terres, ces deux textes ayant étaient rédigés avec le soutien des pays donateurs.

En attendant, le gouvernement doit encore respecter ses engagements répétés à révéler publiquement des informations sur les concessions économiques de terres et annuler celles qui ont été accordées illégalement. Ce manque de transparence réduit encore le nombre de domaines, déjà rares, pour lesquels les Cambodgiens peuvent faire confiance à leurs responsables.

« Il y a un écart énorme entre les réformes promises par le gouvernement cambodgien à chaque réunion de donateurs et les difficultés quotidiennes auxquelles les Cambodgiens continuent à être confrontés » a déclaré Anselmo Lee, directeur exécutif de FORUM-ASIA. « Les donateurs doivent cesser d'envoyer des messages confus au gouvernement cambodgien en demandant des réformes tout en continuant à augmenter leur aide. Cette hypocrisie doit cesser de toute urgence ».

Les restrictions imposées par le gouvernement à la liberté d’expression et au droit de rassemblement – ainsi que des arrestations et persécutions des défenseurs des droits humains et des ressources naturelles – ont créé une atmosphère de répression, interdisant à de nombreux citoyens d’exprimer leurs doléances en public.

Des consortiums composés de parents de hauts responsables et d’unités militaires d’élite continuent d’exploiter illégalement le bois en toute impunité dans plusieurs provinces, et notamment Kompong Thom. Un parent du Premier Ministre, qui a tiré l’année dernière sur deux défenseurs des forêts appartenant à la population locale dans la commune de Tumring après que ceux-ci eurent tenté d’arrêter ses activités illégales, n’a toujours été ni arrêté, ni inculpé. Dans la même province, la société « HMH » a commencé à déboiser une surface de 5 000 hectares dans le cadre d’une opération illégale placée sous protection de soldats du gouvernement armés.

« De plus en plus de Cambodgiens sont réduits à la pauvreté à cause du pillage incontrôlé des forêts et des ressources naturelles du Cambodge, dont dépendent de nombreux villageois pour vivre » a déclaré Adams. « Dans le même temps, les habitants des zones rurales craignent de plus en plus de s'exprimer dans un environnement toujours plus répressif ».

La saisie des terres par des entreprises étrangères, des parlementaires et des personnes ayant des relations familiales ou commerciales avec des responsables gouvernementaux de haut niveau augmente sans cesse. Le mois dernier, par exemple, des villageois de Koh Kong manifestant contre une concession de terres contrôlée par l’homme d’affaires et sénateur CPP Ly Yong Phat, ont été attaqués par la police militaire. Les autorités ont empêché les défenseurs des droits humains enquêtant sur cet incident de parler aux villageois. Avec 20 000 hectares, la concession de Ly Yong Phat représente le double de la taille maximale autorisée par la Loi sur les Terres.

Cette année à Phnom Penh, le gouvernement a expulsé de force des milliers de familles, sous prétexte que les terres appartenaient à des entreprises privées ou qu’elles étaient nécessaires à des projets publics. Beaucoup de ces pauvres familles urbaines vivaient à cet endroit depuis plus de 10 ans. La police a fait une démonstration de force inutile lors de nombreuses expulsions. En juin dernier, par exemple, 600 officiers de la police miliaire en armes ont été envoyés pour expulser les habitants du village de Sambok Chap. Ensuite, les 1 000 familles déplacées ont été emmenées sur un terrain d’un hectare à 20 kilomètres de Phnom Penh, où il n’y a ni eau, ni sanitaires, ni maisons, ni électricité.

« Pour de nombreux Cambodgiens, posséder une terre à cultiver ou un endroit pour vivre à proximité de leur travail ou de services est une question de survie », a expliqué Sidiki Kaba, Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH). « Les donateurs peuvent soit rester immobiles pendant que les citoyens cambodgiens sont privés de leurs terres, sombrent dans la pauvreté et sont privés de leurs droits, ou alors ils peuvent exiger des actions concrètes – à commencer par la déclaration d’un moratoire sur les expropriations jusqu’à l’adoption et l’application de politiques globales sur le logement, la propriété et le relogement qui protègent réellement les droits et les conditions de vie des plus pauvres au Cambodge. »

Yash Ghai, Représentant Spécial des Nations Unies pour les Droits Humains au Cambodge, a récemment demandé à l’ensemble des donateurs de devenir beaucoup plus proactifs pour s’assurer que l’aide qu’ils donnent va réellement aux Cambodgiens :

  • « La communauté internationale… porte la responsabilité particulière de soutenir le Cambodge et son peuple dans leur poursuite de la justice et de la responsabilité. Mais cet engagement doit être basé sur une analyse profonde et réfléchie des causes sous-jacentes de l’état désolant des droits humains et de la justice sociale au Cambodge…
  • Fournir de l’aide s’accompagne de la responsabilité de s’assurer que cette aide va bien au peuple. La communauté des donateurs et la communauté internationale doivent donner la priorité aux droits humains et encourager activement leur respect. Il faut soutenir de manière énergique les populations pauvres et impuissantes et les organisations non-gouvernementales cambodgiennes qui défendent et travaillent en faveur des droits humains. S’appuyer sur l’assistance technique et le développement des compétences ou insister sur l’adhésion aux traités et protocoles sur les droits humains (aussi utiles soient-ils) ne suffit pas. Les nouvelles lois ou les institutions nouvellement créées ne sont pas plus la panacée étant donné que le gouvernement n’a tenu aucun compte des lois, ou bien qu’il les a détournées à son propre avantage au moyen de subterfuges… »

« Il est temps que les donateurs se posent des questions sérieuses : est-ce que leurs efforts assurent un respect de la loi qui protège les intérêts des Cambodgiens ordinaires des malversations des responsables corrompus ? Ou bien gaspillent-ils simplement l’argent de leurs contribuables tout en abandonnant leurs responsabilités envers les citoyens pauvres et privés de leurs droits qu’ils affirment pourtant vouloir aider », a déclaré Basil Fernando, directeur exécutif de la Commission Asiatique des Droits Humains.

Sur le même thème
Cambodia: Time for Tangible Progress Instead of Empty Promises (article in english) http://hrw.org/english/docs/2006/10/04/cambod14311.htm
Letter to Cambodia's Donors Regarding Benchmarks for International Assistance http://hrw.org/english/docs/2006/02/22/cambod12702.htm

2006-10-03

De l'importance de la langue nationale...

Nouvelles du Cambodge N° 0642-F

DE L'IMPORTANCE DE LA LANGUE NATIONALE POUR CONSTRUIRE LA COHÉSION D'UNE NATION

Nous diffusons ci-dessous un article sur la lutte des jeunes Hindous pour le développement de la langue du peuple. Les jeunes Cambodgiens ne sont-ils pas aussi concernés par cette obligation d'apprendre une langue étrangère dès le lycée (secondaire en Amérique du nord) pour aborder les études universitaires qui se font actuellement en langue étrangère ? Dans les autres pays comme en Malaisie, dont le développement économique et intellectuel s'est fait en 20 ans, l'enseignement universitaire ne se fait-il pas en langue nationale, avec en parallèle l'apprentissage rapide d'une langue étrangère ? L'article que nous diffusons ci-dessous se passe de commentaire.

Gandhi et l’anglais

Le recours à une langue étrangère en Inde pour assurer l’enseignement supérieur a causé à la nation un préjudice moral et intellectuel incalculable. Nous sommes encore trop rapprochés de cette période pour mesurer l’énormité du dommage subi. Et c’est un tour de force presque impossible que d’avoir à juger nous-mêmes cette éducation dont nous sommes également les victimes.

Il me faut aussi préciser les raisons qui m’ont conduit à poser de telles conclusions. Pour ce faire, le mieux est, je crois, de faire part de ma propre expérience.

Jusqu’à l’âge de 12 ans, tout l’enseignement me fut donné en gujarati, qui est ma langue maternelle. J’avais alors quelques rudiments d’arithmétique, d’histoire et de géographie. Puis, j’entrai au lycée où pendant trois années encore, je reçus mon enseignement dans la langue maternelle. Mais le rôle du professeur était de faire rentrer l’anglais dans la tête des élèves par tous les moyens. C’est pourquoi plus de la moitié de notre temps se passait à étudier l’anglais et à maîtriser l’orthographe et la prononciation si arbitraires de cette langue. Je découvris avec tristesse qu’il me fallait apprendre une langue dont la prononciation ne correspondait pas à l’orthographe. Quelle drôle d’expérience que d’avoir à apprendre par coeur l’orthographe des mots. Mais c’est là une parenthèse sans grand rapport avec mon sujet. Donc, quoi qu’il en soit, au cours de ces trois premières années de lycée tout se passa relativement bien.

Le supplice commença avec la quatrième année. Il fallait tout apprendre en anglais géométrie, algèbre, chimie, astronomie, histoire et géographie. La tyrannie de l’anglais s’étendait si loin qu’il fallait passer par cette langue et non par la nôtre pour apprendre le sanskrit ou le persan. Si un élève s’exprimait dans sa propre langue, le gujarati, on le punissait. II n’importait nullement au professeur que l’enfant parlât mal l’anglais et qu’il fût incapable de le prononcer correctement ou de le comprendre parfaitement. Pourquoi le maître aurait-il dû s’en inquiéter ? Lui-même parlait un anglais qui était loin d’être parfait. Il ne pouvait pas en être autrement. L’anglais était une langue étrangère aussi bien pour lui que pour ses élèves. Le résultat était catastrophique. On nous donnait à apprendre par coeur beaucoup de choses que nous étions loin de toujours comprendre parfaitement et qu’il nous arrivait même souvent de ne pas comprendre du tout. La tête me tournait quand le professeur s’escrimait à nous faire comprendre ses démonstrations de géométrie. Je n’ai d’ailleurs pas saisi un traître mot de cette discipline avant d’avoir atteint le treizième théorème du premier livre d’Euclide (sic). Et je tiens à avouer au lecteur que malgré tout mon amour pour ma langue maternelle, je ne sais pas encore, arrivé à ce jour, traduire en gujarati les termes techniques de géométrie, d’algèbre, etc. Je sais à présent que si l’enseignement avait pu se faire en gujarati, et non en anglais, il m’aurait suffi largement d’une seule année au lieu de quatre pour en apprendre tout autant en arithmétique, en géométrie, en algèbre, en chimie et en astronomie. La compréhension de ces matières m’aurait paru plus facile et plus claire. Mon vocabulaire en gujarati aurait été plus riche. On aurait pu, chez moi, profiter de ces connaissances. Mais le fait de les avoir acquises en anglais créait une barrière infranchissable entre ma famille et moi, car eux n’étaient pas passés par des écoles anglaises. Mon père ignorait tout de ce que je faisais. Même si j’avais voulu, je n’aurais pu l’intéresser à ce que j’étudiais. Car, malgré sa grande intelligence, il ne savait pas un mot d’anglais. Ainsi, je devenais rapidement un étranger dans ma propre maison. J’étais certainement devenu quelqu’un ! Même dans ma manière de m’habiller il se produisait d’imperceptibles changements. Ce qui m’arrivait là n’avait rien d’exceptionnel. C’était le cas d’un grand nombre de mes camarades.

Les trois premières années de lycée ajoutèrent peu à mon bagage de connaissances générales. Elles étaient destinées à nous préparer à recevoir tout enseignement en anglais. Ces lycées étaient des écoles pour la conquête culturelle qu’opéraient les Anglais. Le savoir acquis par les trois cents garçons de mon école correspondait en fait à une conquête limitée. On ne pouvait pas le transmettre à l’ensemble du peuple. Un mot sur la littérature. Nous devions apprendre plusieurs livres de poésie et de prose anglaises. Nul doute que tout ceci était fort beau. Mais ces connaissances ne m’ont été d’aucune utilité pour servir mon peuple ou me rapprocher de lui. Je suis dans l’impossibilité de dire qu’il me manquerait un trésor précieux si j’ignorais tout de la poésie et de la prose anglaises. Si, à la place, j’avais passé ces précieuses sept années à maîtriser le gujarati et si, en même temps, j’avais appris en gujarati les mathématiques, les autres sciences et le sanskrit, il m’aurait été facile de faire profiter mon entourage de mes connaissances. J’aurais pu enrichir le lexique gujarati et qui sait, si avec mon acharnement coutumier et mon amour démesuré pour mon pays et ma langue maternelle, je n’aurais pas réussi à servir les hommes d’une manière plus féconde et plus large ? Il ne faut pas me prêter l’intention de vouloir dénigrer l’anglais ou sa noble littérature. Les colonnes du Harij en témoignent suffisamment en faveur de mon amour de l’anglais. Mais la noblesse de sa littérature ne peut être guère plus utile à la nation indienne que le climat tempéré de l’Angleterre ou son paysage. L’Inde doit s’épanouir sous un climat, dans un cadre et selon une littérature qui lui appartiennent en propre, même si tous trois ne valent pas ceux qu’on trouve en Angleterre. Nous devons, nous et nos enfants, bâtir sur notre propre héritage. Nous l’appauvrissons dans la mesure où nous empruntons à celui d’un autre. Les nourritures qui viennent de l’étranger ne pourront jamais nous faire grandir. Je tiens à ce que le pays parvienne à la connaissance des trésors d’une culture étrangère au moyen de ses langues vernaculaires. Je n’ai pas besoin d’apprendre le bengali pour connaître les beautés de l’oeuvre incomparable de Rabindranath. Je peux y avoir accès grâce à de bonnes traductions. Ceux qui parlent gujarati n’ont pas à étudier le russe pour apprécier les nouvelles de Tolstoy. Ils peuvent en prendre connaissance dans une bonne traduction. Les Anglais se vantent de pouvoir, en une semaine, publier les meilleures productions de la littérature mondiale et les mettre à la disposition de leurs lecteurs traduites dans un anglais facilement accessible. Il est inutile d’apprendre l’anglais si je veux connaître ce qu’il y a de mieux dans la pensée et les écrits de Shakespeare et Milton. Ce serait faire une bonne économie que de mettre à part un groupe d’étudiants dont le travail serait d’apprendre dans les différentes langues du monde ce qu’on peut y trouver de plus précieux, et, ensuite, d’en donner la traduction dans leur langue vernaculaire. Nos maîtres s’y sont mal pris avec nous, et l’habitude aidant, l’anomalie fait figure de norme...

Les universités devraient être indépendantes. L’État ne prendrait à sa charge que ceux dont il a besoin pour ses services, et pour le reste, il encouragerait l’initiative privée. Il faudrait aussi, à tout prix et immédiatement, ne plus se servir de l’anglais pour assurer l’enseignement, mais redonner aux langues de chaque province la place qui leur convient. Je préférerais assister à la désorganisation temporaire de l’enseignement supérieur plutôt que de voir se perpétuer jour après jour ce gâchis criminel...

Post-scriptum : Gandhi : "Tous les hommes sont frères". Paris : Gallimard NRF (coll. Idées). 1969 ; p. 258 à 262. Aujourd’hui, malgré près de trois siècles et demi de domination britannique auxquels s’ajoute plus d’un demi-siècle de matraquage par l’anglais, il n’y a qu’un pour cent de la population de l’Inde qui maîtrise l’anglais à l’égal de natifs anglophones britanniques ou étasuniens.

Posté par Khemara Jati
Le 3 Octobre 2006

Note : This article is available into english upon request