2008-07-22

Un atlas du Cambodge

Nouvelles du Cambodge N° 0830

Phnom Penh :

M. Chheang, du Sipar, étudie à la loupe d'anciennes cartes pour établir un atlas du Cambodge des plus fidèles

Anne-Laure Porée

A la rentrée prochaine, il se pourrait bien que les jeunes Cambodgiens se mettent à aimer la géographie et surtout, apprennent à localiser leur pays dans la région et à situer leurs voisins. L’atlas du Sipar, une organisation non humanitaire de soutien à la lecture, va enfin leur montrer le monde en couleurs. Les cartes en noir et blanc des manuels scolaires vont prendre un coup de vieux.

Cet atlas, le premier du genre au Cambodge, a été réalisé dans un réel souci pédagogique. Il se découpe en trois parties : d’abord, le jeune lecteur apprend à utiliser l’ouvrage, il découvre les symboles et les codes de la cartographie ; ensuite, il entre dans les pages "Monde et Etats", avant de plonger dans les pages Cambodge. La partie méthodologique est indispensable, comme l’explique le directeur de collection Sun Heng Meng Chheang, ancien professeur d’histoire-géographie et ancien rédacteur de manuels scolaires : « Nos jeunes n’ont pas l’habitude d’utiliser un index qui leur permet pourtant de trouver rapidement le nom d’un pays et sa localisation dans le livre. »

La guerre des anciens et des modernesAu-delà de son utilité, cet index est une victoire, il symbolise la fin d’une bataille qui a longtemps retardé la parution de l’atlas. Rien ne dit que la guerre orthographique est terminée mais au moins les élèves ne pâtiront pas plus longtemps des atermoiements de leurs aînés. Imaginez la querelle entre les partisans conservateurs d’une orthographe renouant avec ses racines pâli et sanscrit et les défenseurs réformistes d’une orthographe khmérisée, simplifiée, facilitant la lecture et la compréhension. Le ministre de l’Education a appelé par décret au retour à la tradition mais les manuels scolaires, eux, sont déjà imprimés à la mode réformiste. « On ne sait pas quand ces manuels seront remplacés, justifie M. Chheang, nous avons donc adopté leurs principes. »

Entre les mots existants et ceux jamais traduits, le casse-tête fut interminable. Il y a des jours où l’expression khmère « Chheu k’bal » (mal de tête) prend tout son sens. Il a pourtant fallu trancher. Par choix, l’écriture des mots nouveaux s’est inspirée de la prononciation française mais, pour éviter toute confusion, l’index a été rédigé en khmer, en français et en anglais.

A la recherche des affluents perdusEn parallèle des débats sur le parti pris de la simplification de l’orthographe, il fallait aussi se concentrer sur les cartes. Celles du monde, achetées à l’éditeur français Nathan, ont été traduites en khmer. Celles du Cambodge en revanche devaient être créées de toutes pièces. John Clérin, « géographe géomaticien », spécialiste des collectes, du traitement et de la diffusion de données géographiques, également collaborateur de l’Ecole française d’Extrême-Orient, a mis la main à la pâte. « Il nous a placé le Mékong selon des coordonnées précises ainsi que ses affluents, se souvient M. Chheang. Après nous devions choisir lesquels garder sur la carte. »

Ne croyez pas la tâche aisée. Tout le Sipar a vu M. Chheang le nez plongé dans ses cartes étalées par terre et maugréant sur le nom d’une rivière introuvable. Ah oui ! Le cours d’eau existait ! Mais comment s’appelait-il ? Tel un explorateur, le voilà enquêtant sur les cartes réalisées par le service géographique du Cambodge avant 1970. Comment est-il en possession de ces cartes introuvables ? En parlant de « son » atlas à tout le monde, M. Chheang a mis tout son entourage à contribution. Parce que ce livre n’était pas qu’un travail, c’était un défi. Ces cartes lui ont ainsi été prêtées par un collègue qui les avaient récupérées auprès d’un rescapé du régime khmer rouge doté d’un véritable instinct d’archiviste. Grâce à ces documents, M. Chheang a retrouvé l’affluent O’Talas. « C’est bizarre, cet affluent important était dessiné sur de nombreuses cartes contemporaines mais son nom n’était jamais signalé. »

Un casse-tête du début à la finIl n’était pas au bout de ses peines : quand un problème était résolu, un autre surgissait. Combien de fois deux documents donnaient des noms différents ? Combien de fois le nom de la carte ne correspondait pas au nom employé localement ? Que faut-il décider lorsque la population appelle telle rivière Se San, c’est-à-dire par son nom lao, quand la traduction khmère est Tonlé San ? Comment trouver les reliefs les plus élevés quand personne n’a jamais fait de repérage ? « Autour du mont Oral, nous disposons de données, cette zone a été cartographiée. Mais dans des régions reculées, les documents sont inexistants. Nous pouvons avoir une idée de l’altitude, pas toujours du nom des phnoms », explique M.Chheang.

Difficile d’imaginer devant cet atlas conçu avec pédagogie le travail de Titan que cela représente. Il donne les repères de base, les cartes essentielles du monde et du Cambodge. Il a aussi le mérite de regrouper des informations habituellement dispersées dans les manuels de différents niveaux et même d’intégrer des nouveautés : le monde africain, l’Amérique du Sud, absents du programme scolaire. « Il n’y a pas d’équivalent au Cambodge, glisse fièrement M. Chheang, cela n’a jamais existé comme matériel scolaire. » L’ouvrage sera donc envoyé dans toutes les écoles de formation des futurs instituteurs, qui auront à charge d'introduire dans leurs classes cette petite révolution. Ka-set.info Pour en savoir plus

La géographie, une affaire de terrain ! Quand les documents faisaient défaut, quand il était impossible de vérifier personnellement le moindre détail des cartes en création, les professeurs d’histoire-géographie des régions les plus reculées, les chefs de l’éducation provinciale, l’équipe des bibliothèques du Sipar furent mis à contribution et chargés de quelques vérifications.

Phnom Penh, l’affaire était plus facile : pour contrôler les données, Srin, le maquettiste de l’atlas, allait lui-même quadriller les rues de la capitale à moto !

Naissance d’une édition jeunesseTrois grandes étapes jalonnent l’histoire du livre au Sipar.A la fin des années 1980, le Sipar, ONG présente dans les camps de réfugiés en Thaïlande, travaille à partir de livres dont le texte était traduit en khmer, tapé à la machine, voire réécrit à la main, puis collé en lieu et place de l’original.

Dans les années 1990, Béatrice Montariol, en poste dans la province de Prey Veng, demande à des anciens de raconter des contes traditionnels et de les illustrer. A l’aide d’une vieille ronéo (ancêtre de la photocopieuse), les premiers livres sont imprimés sur du papier russe. Le Sipar édite ces livres parce qu’il a besoin d’un support pour l’enseignement de la lecture.
Après l’édition de dix livres de contes, subventionnée par le Canada en 1998, le Sipar réfléchit à développer son propre programme d’édition et s’oriente vers le documentaire pour répondre aux attentes des jeunes (la collection « Je voudrais savoir »). En parallèle naissent des hors collection : la traduction du Petit Prince de Saint-Exupéry, le témoignage de la vie sous les Khmers rouges de Pin Yathay, un livre sur les danseuses Apsaras...

Petit à petit se construit un projet de collections. Les premiers « Je voudrais lire » paraissent. La collection littérature jeunesse en format poche naît avec la traduction en khmer de Pinocchio puis des Pensionnaires de la pagode de Chuth Khay.

Dans les cartons aujourd’hui : des projets d’albums pour les tout petits.

Sur Internet- site de l'organisation non gouvernementale Sipar (FR)

Posté par Khemara Jati
khemarajati@sympatico.ca

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