2006-10-29

Comment libérer le Cambodge (2)

Nouvelles du Cambodge N° 0645-F

COMMENT LIBÉRER LE CAMBODGE DE LA DOMINATION VIETNAMIENNE (2)

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 23 octobre 2006

Le problème de l’ « Histoire »

Le passé peut nous donner des indications pour l’avenir, avec donc des perspectives pour nos luttes à venir. Mais comment examiner notre passé ? L’histoire est-elle une science exacte comme les mathématiques ou comme les sciences de la nature ? Existe-t-elle une « Vérité historique » ? Par exemple pourquoi y a-t-il des milliers de livres sur Napoléon ?

« On confond souvent le sens historique avec le culte de la tradition ou le goût du passé. En vérité, pour l’individu comme pour les collectivités, l’avenir est la catégorie première. Le vieillard qui n’a plus que des souvenirs est aussi étranger à l’histoire que l’enfant absorbé dans un présent sans mémoire. Pour se connaître soi-même comme pour connaître l’évolution collective, l’acte décisif est celui qui transcende le réel, qui rend à ce qui n’est plus une sorte de réalité en lui donnant une suite et un but. » [1]

Chaque livre sur Napoléon ne représente-il pas une certaine vision subjective de l’auteur sur le personnage ? Les histoires du Cambodge écrites par des étrangers ont-ils pour objectif d’unir les Cambodgiens pour libérer leur pays de la domination vietnamienne ?

Donc, avant d’aller plus loin, il est donc important d’abord d’essayer de se poser la question de savoir « quel avenir pour le Cambodge ? » Maintenant, force est de constater que nos compatriotes, au Cambodge comme à l’étranger, sont unanimes à dire que le problème fondamental pour notre pays est : « Comment libérer notre pays de la domination vietnamienne dans le contexte géopolitique actuelle ? » Il y a aussi actuellement un consensus chez nos compatriotes pour dire que le pouvoir dictatorial, mafieux et criminel actuel, entre les mains du clan Hok Lundy – Hun Sen, ne fait qu’exécuter les ordres venus de Hanoi. La récente « Affaire Heng Pov » montre à l’évidence, d’autre part, qu’aucune grande puissance n’a intérêt à remplacer ce pouvoir honni unanimement par les Cambodgiens.

Dans ces conditions comment trouver les bases pour unir nos compatriotes dans leurs luttes multiformes pour libérer notre pays de la domination vietnamienne ? Il faut donc examiner minutieusement notre passé comme le pense Naranh Kiri Tith. Mais faut-il s’en tenir seulement aux activités de nos hommes politiques sur seulement leurs activités politiques ? Les questions culturelles, économiques et sociales ne sont-elles pas au moins aussi importantes ? Le poids politique respectif des Etats-Unis, du Japon, de la Chine et de l’Inde n’est-il pas dû principalement au poids économique de chacune de ces grandes puissances ? Ce poids économique n’est-il pas à son tour dû au développement à l’amont de l’enseignement en général et en particulier de l’enseignement supérieur ? La Chine forme 600 000 ingénieurs de haut niveau par an, l’Inde 300 000, le Japon et les Etats-Unis ont des laboratoires de recherches les plus performants de la planète. L’effondrement de l’URSS n’est-il pas dû principalement à son incapacité à développer une économie assez forte pour soutenir son effort militaire ?

D’après ces constatations, n’est-il pas important de nous poser la question : « Qu’est-ce qui fait qu’un peuple s’unit pour défendre les intérêts nationaux fondamentaux de son pays ? » Qu'est-ce qu’une nation ? Est-ce que les Cambodgiens actuels se comportent comme les citoyens d’une nation ?

Les expériences de tous les jours ne nous montrent-elles pas que tout être humain défend avant tout, ses propres intérêts et ceux de sa famille ? Alors pourquoi, dans une nation, des millions, des dizaines voire des centaines de millions de citoyens, sans se connaître, peuvent-ils s’unir pour se battre, parfois jusqu’à la mort, pour défendre leurs intérêts communs ? Ces intérêts communs consistent-ils en quoi ? En résumé quelles sont les bases d’une nation ? L’histoire montre que les nations ne se sont constituées que depuis un peu plus de quelques siècles en Europe. Avant l’imprimerie l’Europe était unifiée par l’utilisation du latin. Avec l’invention de l’imprimerie en 1450, proliféraient des livres en langues vernaculaires qui devenaient les bases actuelles des nations européennes[2]. Les premières vraies nations sont l’Angleterre et la France. Puis elles s’étendent en Europe. En Russie avec Pierre le Grand (1672 – 1725), puis continué par la Grande Catherine II (1729 – 1796). Puis en Asie à partir de la deuxième moitié du XIXè siècle, d’abord au Japon à l’ère du Meiji en 1868. L’histoire du monde ne nous montre-t-elle pas que toutes les nations ont pour supports fondamentaux les classes moyennes que sont les intellectuels, les artisans et les chefs des petites et moyennes entreprises ?

Plus récemment, pour les petits pays comme la République d’Irlande en Europe et la Malaisie près de chez nous, qui sont maintenant des pays développés. En 20 ans, la méthode utilisée par ces pays est la même : investir massivement dans l’enseignement pour former rapidement des ingénieurs, des techniciens à tous les niveaux, des gestionnaires en tout genre. Maintenant les riches de la République d’Irlande sont en train d’acheter des terres dans la partie anglaise au Nord-Est de l’île. Ainsi la lutte armée n’est plus nécessaire pour que la République d’Irlande devienne progressivement maître de cette partie encore britannique de l’île. Naturellement, la République d’Irlande et la Malaisie ont des dirigeants qui connaissent la voie à suivre et qui l’appliquent, comme le Japon à l’ère Meiji en 1868. Est-ce le cas chez nous ?

Comment former rapidement et massivement, des ingénieurs et spécialistes dans tous les domaines dans une langue autre que la langue maternelle ? Pour Singapour, l’anglais est en train de devenir la langue maternelle pour l’ensemble du peuple avec comme deuxième langue le chinois, le malais ou le tamoul. En Inde, il existe une minorité (1/100 de la population) qui utilise l’anglais comme langue maternelle, mais la grande majorité des Indiens sont en train de se battre pour développer l’enseignement supérieur en langue nationale pour lutter contre la domination de la minorité anglophone.

Ainsi pour libérer notre pays de la domination vietnamienne, notre lutte est-elle seulement et uniquement politique ? Ou comporte-t-elle aussi les luttes culturelles, économiques, sociales, etc. ? Même de nos jours, quel homme politique cambodgien a-t-il comme programme le développement de notre système d’enseignement ?

Certes, dans le passé, les responsables politiques cambodgiens ont eu leur part de responsabilité dans la situation actuelle de notre pays. Mais ces responsabilités sont-elles seulement politiques ? Quelle est la part de leurs erreurs ou insuffisances concernant la politique culturelle ? Les insuffisances dans la politique économique et sociale ? Comment remédier à ces insuffisances ? De nos jours, nos hommes politiques ont-ils pris conscience de ces insuffisances ?

Remontons plus loin dans notre histoire. Est-ce que les seules considérations politique et culturelle sont suffisantes pour comprendre la supériorité d’Ayuthia sur Angkor ? Ayuthia n’est-elle pas vassale de Jayavarman VII ? Jusqu’à présent, Bernard Philippe Groslier était le seul à chercher à étudier en profondeur, l’agriculture angkorienne dans son article : « La Cité Hydraulique Angkorienne, exploitation ou surexploitation du Sol ? »[3]. Dans cet article Groslier tire la conclusion qu’après Jayavarman VII « le système est mort (page 187)». Il n’y a plus de place pour créer un nouveau baray.

On sait qu’Ayuthia bénéficiait des récoltes toujours abondantes fournies par le fleuve Ménam que Henri Mouhot comparaissait au Nil[4]. De nos jours c’est toujours le Ménam qui permet à la Thailande d’être le premier pays exportateur de riz du monde ! En plus Ayuthia était un port accessible aux bateaux portugais qui arrivaient dans la région au début du XVIè siècle. Est-ce le cas pour Angkor et le Cambodge après Angkor ? A partir de l’arrivée des Portugais et des Européens dans notre région, pouvons-nous écrire notre histoire en ignorant l’intervention des portugais puis des autres européens dans notre région ? Pour ne pas alourdir nos propos, nous reviendrons plus longuement, dans un autre article, sur les interventions des Européens dans notre région qui ont changé complètement l’histoire des pays du Sud-Est Asiatique et aussi de l’Asie de l’Est, Chine et Japon compris.

Au Japon, à la bataille historique de Nagashino, le 28 juin 1575, la victoire revint à la défense qui utilisait pour la première fois 3000 armes à feu, en l’occurrence des arquebuses vendues par les Portugais. Cette bataille a était portée à l’écran par le célèbre réalisateur Akira Kurosawa en 1980 dans son film « Kagemusha ». Les Portugais et leurs armes à feu jouaient aussi un rôle très important dans les conflits entre la Birmanie et le Siam au XVI et XVIIè siècles.

Les Européens ont apporté avec eux, les armes à feu, leurs connaissances en mathématiques, en astronomie, les preuves de la sphéricité de la terre et de sa rotation sur elle-même après le premier voyage circumterrestre entrepris par Magellan en 1520, l’imprimerie, l’horloge et autres sciences, les frontières linéaires, des systèmes d’administration efficaces entre autres. Les Européens ont hérité de toutes les civilisations du monde, en particulier celle de la Grèce antique. Les Grecs ont inventé la logique et les mathématiques abstraites qui sont les bases des mathématiques actuelles. Les philosophes grecs, les premiers, s’intéressaient aux problèmes de l’homme, de ses relations entre eux et de ses relations avec le monde extérieur terrestre et extraterrestre. Les Grecs se posent des problèmes sur la beauté. Les deux grandes bibliothèques d’Alexandrie sont les témoignages éternels de l’importance donnée à l’écrit et à la confrontation démocratique des idées. Le droit romain n’est-il pas une des sources principales d’inspiration du droit des pays européens ?

Ne faut-il pas tenir compte, aussi des contradictions et même des conflits d’intérêts entre les Européens et de nos jours entre les grandes puissances ? De tout temps les plus forts cherchent toujours à dominer les plus faibles. L’homme n’applique-t-il inconsciemment la fameuse théorie de la « Sélection naturelle » de Darwin ?

« Du moins pourra-t-on voir à cette occasion s’appliquer dans toute sa rigueur la théorie de la sélection naturelle ; car au cours des cinq ou six derniers millénaires, les peuples les plus doux, les plus aimables et les plus accueillants ont été exterminés ou condamnés à disparaître, tandis que prospéraient les groupements les plus belliqueux qui relevaient tour à tour le flambeau civilisateur. » [5]

Dans l’histoire, les grandes puissances européennes possèdent des ports très importants comme Athènes, Rome, Carthage, Alexandrie, Venise, Amsterdam, Londres etc. Leur prospérité vient principalement du commerce maritime. Le développement des communications et des transports aériens ne change pas beaucoup à cette donne.

Les Européens ne s’intéressaient donc qu’aux pays ayant des ports accessibles à leurs bateaux. Puis ils ont créé des ports dans des endroits stratégiques comme Singapour, Hong Kong, Saigon, Shanghai par exemple. Géographiquement, le Cambodge ne se trouvait sur aucune route maritime stratégique. Au moment de la création du port de Saigon, le Cambodge devenait automatiquement l’arrière pays nécessaire pour permettre à Saigon de prospérer. Finalement notre pays ne possède un port maritime que depuis 1969.

Après les Accords de Paris du 23 octobre 1991, le Japon entreprend de tout faire pour que les exportations du Cambodge continuent à se faire principalement par Saigon. Comme par exemple la construction d’une véritable autoroute à deux voies dans chaque sens entre Phnom Penh et Saigon, la première autoroute du Cambodge comme du Vietnam. En plus cette autoroute est construite par des entreprises vietnamiennes. Alors que le Cambodge a un besoin urgent de moderniser les routes qui relient la capitale à nos villes de province et à nos villages ainsi que nos lignes de chemin de fer. Rappelons que la route RN 4, offerte par les Etats-Unis est à péage, alors que, pour développer notre commerce extérieur, notre intérêt est de transformer cette RN 4 en une véritable autoroute à au moins deux voies à chaque sens.

De nos jours, aucun Cambodgien ne s’avise de célébrer l’anniversaire de ces Accords de Paris de 1991. N’est-ce pas une preuve suffisante que les Cambodgiens sont déçus des résultats escomptés de ces Accords ? Sihanouk et Khieu Samphan, par ignorance, n’ont-ils pas à cette occasion, signé leur condamnation à mort politiquement ?

Notre port de Kompong Som, nos îles et nos côtes sont appelés à devenir une ville et une région industrielles, touristiques et commerçantes les plus développées de la région avec en prime des grandes ressources en hydrocarbure. Le problème est de savoir qui géreront ce port et cette région ? Les Cambodgiens ? Ou seulement des étrangers, nos voisins en particulier ? Les Cambodgiens ne seront-ils que des mendiants dans leur pays, au milieu des riches étrangers ? Les Cambodgiens ne sont-ils pas déjà des mendiants à Bangkok, à Saigon et aussi à Phnom Penh ?

(À suivre…)

Note : This article is available into english upon request.
[1] Raymond Aron, dans « Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique », thèse soutenue le 26 mars 1938 et publiée par Editions Gallimard Paris 1938, réédité en 1986, page 432.
[2] « L’Imaginaire Nationale » par Benedict Anderson, Ed. La Découverte, Paris 2006.
[3] Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient 1979 pages 161 à 202.
[4] « Voyages dans les royaumes de Siam de Cambodge et de Laos » Ed. Olizane, Genève 1989, page 239, première édition début des années 1860 dans la revue, « Le Tour du Monde ».
[5] Lewis Mumford, dans « La Cité à travers l’histoire », Editions du Seuil, Paris 1964, page 59.

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