2006-11-09

La minorité cambodgienne de Cochinchine

Nouvelles du Cambodge N° 0651-F

LA MINORITÉ CAMBODGIENNE DE COCHINCHINE

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 8 novembre 2006

A la demande d’un certain nombre de nos lecteurs, nous reproduisons ci-dessous un extrait de la Conférence d’Information, faite par Louis Malleret, à Saigon, le 17 décembre 1945, sous le patronage du Bureau des Affaires Culturelles du Service Fédéral de l’Instruction Publique, pour les officiers et fonctionnaires du Corps Expéditionnaire (français) de l’Indochine, reproduite intégralement sous le titre « La Minorité Cambodgienne de Cochinchine » dans le « Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises », Tome XXI, 1er semestre 1946, S.I.L.I., Saigon 1946.

Dans cette conférence, Malleret montrait comment le pouvoir colonial vietnamisait la Cochinchine en privant les Cambodgiens des connaissances dans leur langue maternelle pour se défendre contre l’administration qui n’utilisait que les langues française et vietnamienne.

Il n’est pas question pour nous d’appeler nos compatriotes à se venger de la politique coloniale menée par la France durant un siècle, mais seulement de montrer comment la France a procédé pour vietnamiser la Cochinchine. C’est à nous de tirer la leçon pour guider nos luttes pour recouvrir notre indépendance nationale dans notre intégrité territoriale et maritime et aussi à nos frères du Kampuchea Krom pour préserver son identité culturelle.

Etudier l’histoire pour se venger du passé ou pour lui porter un jugement, c’est chercher à fuir les responsabilités sur l’avenir de la communauté. Etudier l’histoire c’est justement pour éclairer notre route pour l’avenir. D’autre part, il est curieux de constater que notre histoire est principalement écrite par des étrangers. Pourquoi le Cambodge ne possède-t-il pas encore une commission sérieuse pour la recherche historique ? Ces recherches peuvent-elles se faire efficacement si l’on ne se pose pas au préalable certaines questions sur la nature de la « science historique » ? Tous les grands historiens du monde se posent ces questions. Il n’y a pas une seule réponse, mais de multiples réponses qui se résument à ceci : Il n’y a pas de vérité historique, mais une manière d’appréhender le passé pour préparer l’avenir.

« Beaucoup de personnes et même, semble-t-il, certains auteurs de manuels se font de la marche de notre travail une image étonnamment candide. Au commencement, diraient-elles volontiers, sont les documents. L’historien les rassemble, les lit, s’efforce d’en peser l’authenticité et la véracité. Après quoi, et après quoi seulement, il les met en œuvre. Il n’y a qu’un malheur : aucun historien, jamais n’a procédé ainsi. Même lorsque d’aventure il s’imagine de le faire.

« Car les textes, ou les documents archéologiques, fût-ce les plus clairs en apparence et les plus complaisants, ne parlent que lorsqu’on sait les interroger. Avant Boucher de Perthes, les silex abondaient, comme de nos jours, dans les alluvions de la Somme. Mais l’interrogateur manquait et il n’y avait pas de préhistoire. Vieux médiéviste, j’avoue ne connaître guère de lecture plus attrayante qu’un cartulaire. C’est que je sais à peu près quoi lui demander. Un recueil d’inscriptions romaines, en revanche, me dit peu. Je sais tant bien que mal les lire, non les solliciter. En d’autres termes, toute recherche historique suppose, dès ses premiers pas, que l’enquête ait déjà une direction. Au commencement est l’esprit. Jamais dans une science, l’observation passive n’a rien donné de fécond. A supposer, d’ailleurs, qu’elle soit possible. »[1]

Un exemple : Depuis toujours on voit une pomme tomber, mais il faut attendre Newton (1642 – 1727), pour émettre la loi de l’Attraction universelle.

D’ailleurs dans la vie courante, les activités d’une personne se font toujours dans un but plus ou moins précis. Les historiens aussi écrivent toujours quelque chose dans un but plus ou moins bien déterminé.

Nous reproduisons de nouveau ce qu’écrivait Marc Block : « Au commencement, diraient-elles volontiers, sont les documents. L’historien les rassemble, les lit, s’efforce d’en peser l’authenticité et la véracité. Après quoi, et après quoi seulement, il les met en œuvre. Il n’y a qu’un malheur : aucun historien, jamais n’a procédé ainsi. Même lorsque d’aventure il s’imagine de le faire. »

Ainsi, vouloir écrire l’histoire du Cambodge en se basant uniquement sur les documents déjà existants sur notre pays est-il un moyen pour faire avancer notre connaissance sur le passé de notre pays ? Marc Block affirme même : « aucun historien, jamais n’a procédé ainsi. »

Nous ne sommes pas des historiens professionnels, mais nous nous posons des questions sur l’histoire de nos voisins et par extension sur l’histoire du monde sur des questions se rapportant à notre passé, comme par exemple les bouleversements depuis l’arrivée des Européens dans notre région. Ainsi, avec nos faibles moyens nous avons trouvé des éléments de réponses concernant la supériorité de nos voisins depuis le début du XVIè siècle. Nous avons diffusé dans nos précédents articles des textes concernant les apports des Portugais à la Birmanie et à Ayuthia qui était un port de commerce accessible aux bateaux européens de cette époque.

Avant de reproduire un extrait de la conférence de Louis Malleret, nous désirons signaler que déjà un français, le père Ponchaud, a déjà fait une critique de cette période.

Au sujet de l’importance de notre langue nationale, le père François Ponchaud, dans son « Compte Rendu de Mission au Cambodge, du 16 au 27 septembre 1990 », écrivait en conclusion, page 9 :

« Il convient à l’Eglise (catholique) de se montrer vigilant pour ne pas répéter certaines erreurs du passé, alors qu’à la fin du XIXè et du début du XXè siècle, et dans un autre contexte, l’Eglise, s’inspirant des schémas coloniaux, favorisait l’implantation vietnamienne au Cambodge. Cela lui valut d’être considérée par les Cambodgiens comme doublement étrangère, et par ses origines et par ses communautés. L’évangélisation des Khmers en a été de ce fait, compromise pendant près d’un siècle.

« Alors que l’Eglise du Cambodge renaît de ses épreuves, avec la fragilité que l’on sait, alors qu’elle a l’opportunité et la volonté de se présenter au service du peuple khmer du Cambodge, une action pastorale intempestive et unilatérale auprès des immigrants dont la présence est perçue négativement par l’opinion publique, risque de grever lourdement les chances de l’évangélisation des Cambodgiens. L’action pastorale au Cambodge requiert une prudence et appelle une coordination »

Sur la vietnamisation du Cambodge, lire aussi « La Communauté Vietnamienne au Cambodge à l’Epoque du Protectorat Français (1863 – 1953) », thèse de Khy Phanra, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1974, et « Le Cambodge et la Colonisation Française » par Alain Forest, Ed. L’Harmattan, Paris 1980.

Ainsi le plus important n’est pas de se venger, mais de tirer la leçon du passé pour construire l’avenir de notre nation. Il est normal que le père Ponchaud n’oublie pas, pour lui, l’importance de la langue française. C’est à nous d’en prendre conscience de ce fait.

Nous avons interrogé des Cambodgiens catholiques. Ils disent qu’au moins avec le père Ponchaud leurs enfants peuvent s’instruire dans des bonnes conditions. N’est-ce pas une réaction normale ? L’enseignement universitaire en langue cambodgienne est pour quand ?

Nous signalons que l’entreprise du père Ponchaud se fait dans le contexte où l’Eglise au Cambodge relève du Vatican. L’Eglise vietnamienne de nos jours dépend de Hanoi. Ce qui fait que Hanoi est obligé d’envoyer des prêtres de Saigon pour faire la messe aux catholiques vietnamiens du Cambodge.

Extrait de la Conférence de L. Malleret sur
« La minorité cambodgienne de Cochinchine »
dans Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, tome XXI 1er semestre 1946, pages 12, 13, 14 :

« Que de fois, il m'est arrivé, parcourant à pied, à cheval, en charrette ou en sampan, les provinces de la Cochinchine, d'accepter la franche hospitalité des pagodes cambodgiennes. L'on s'empressait de m'apporter quelques noix de coco, pour étancher ma soif, tandis que j'offrais en retour des bâtonnets d'encens ou un paquet de thé. Dans la maison de repos des hôtes, on étendait une natte et, quand l'air est pur et léger, je ne connais pas d'impression plus sereine que celle de s'étendre sur les claies de bambou de ces maisons sur pilotis, tandis que les bonzes en robe de safran passent silencieusement dans les cours et qu'un vent espiègle murmure, dans les hautes touffes des cocotiers.

« Mais souvent, j'arrivais à une heure où l'école de la pagode bruissait du murmure des jeunes enfants et cela me conduit tout naturellement, à évoquer ici, le problème de l'enseignement qui se pose sous un aspect grave, pour la minorité cambodgienne de Cochinchine. Celle-ci forme un ensemble homogène, par sa langue, sa religion, ses coutumes, ses traditions. Attachée à sauvegarder ses usages, elle répugne à envoyer ses enfants à l'école franco-annamite et ne dispose que très rarement, d'écoles franco-khmères.

« On a essayé jusqu'ici, de résoudre la difficulté en favorisant le développement de l'enseignement traditionnel, dans les écoles de pagodes. Celles-ci sont de trois types. Les unes sont indépendantes et, de ce fait, échappent entièrement à notre contrôle. On en comptait 95 en 1944, réunissant 1 038 élèves. D'autres sont subventionnées. Il y en avait 20, au début de 1945, avec 571 élèves. Enfin, depuis quinze ans, l'on s'est attaché à multiplier le nombre des écoles de pagode dites "rénovées", où l'enseignement est donné par des bonzes, qui ont suivi un stage de perfectionnement, à Phnom Penh, à Tra-vinh ou à Soc-trang et que l'on s'efforce de conseiller, autant que le permet le droit de regard que l'on peut s'attribuer, sur des établissements de caractère presque exclusivement religieux. Le nombre des écoles de ce type a passé de 37, en 1930, à 90 en 1936, et à 209 en 1944, parmi lesquels on comptait 1093 filles, jusqu'ici traditionnellement écartées du bénéfice de l'instruction. Dans le même temps, le nombre des écoles officielles franco-khmères n'a pas dépassé le nombre de 19, avec 30 maîtres seulement.

« Il y a là un problème qui doit retenir l'attention. Quel que soit le soin que l'on ait apporté à la formation des bonzes-instituteurs, la création des écoles de pagode, fussent-elles "rénovées", n'est qu'un moyen de fortune, qui ne saurait remplacer un enseignement de type normal à deux cycles, l'un élémentaire, où le véhicule de l'enseignement peut demeurer le cambodgien, l'autre complémentaire avec initiation à la connaissance du français. Mais l'on se heurte à la question difficile du recrutement des instituteurs et tous les efforts entrepris, pour la pénétration scolaire, dans les pays cambodgiens, sont paralysés par cette insuffisance numérique et qualitative du personnel. J'avancerai donc encore ici, un vœu en faveur des Cambodgiens de Cochinchine. C'est que le nombre des écoles élémentaires et complémentaires franco-khmères soit rapidement accru, de façon à former des sujets pourvus de certificat d'études, aptes, les uns à devenir instituteurs auxiliaires, les autres à fournir un premier contingent d'élèves-maîtres, dans les Ecoles Normales, auxquelles il faudra bien revenir, si l'on entend rompre décidément avec la politique d'enseignement primaire au rabais, qui a été suivie en Indochine, depuis la crise économique de 1929-1933.

« Ce problème ne touche pas seulement, à l'obligation d'accorder à l'enfant cambodgien de Cochinchine, le niveau d'instruction primaire auquel il a droit. Il englobe, aussi, la grave question du recrutement d'une élite. Dans la minorité khmère du Bas-Mékong, comme du reste dans l'ensemble du Cambodge, le fait qui saisit l'observateur, c'est que cette société est privée, en dehors du clergé, d'une classe véritablement dirigeante. Dans le vieux royaume khmer, ce sont souvent des Annamites qui fournissent le contingent des fonctionnaires de l'administration
[2] ou qui occupent les professions libérales, et cette situation, dont les Cambodgiens sont les premiers à d'alarmer, sans beaucoup réagir, semble avoir des origines très lointaines. Il est remarquable, en effet, que la décadence de ce pays ait coïncidé avec l'époque où se produisaient dans l'Inde, les invasions musulmanes. A partir du moment où le Cambodge fut privé de l'encadrement que lui apportaient, semble-t-il, des brahmanes, sa déchéance commença[3]. Il y a quelques raisons de penser que des causes ayant tari le recrutement d'une élite, produisirent les mêmes effets, dans l'ancien Fou-nan, et l'on a vu les Siamois s'opposer plus récemment, au relèvement de la nation cambodgienne, en massacrant lors de leurs incursions, les classes dirigeantes ou en les emmenant en captivité.

« Quoi qu'il en soit, l'œuvre urgente, l'œuvre nécessaire, c'est d'accorder à la minorité cambodgienne de Cochinchine, les moyens de sauvegarder sa personnalité, en créant pour elle, des écoles, et surtout en rompant avec l'habitude de la portion congrue, qui consistait à donner à des instituteurs cambodgiens communaux, des salaires dérisoires, comme c'était le cas en Cochinchine, en 1943, où les maîtres recrutés à grand peine, recevaient pour le prix de leur activité professionnelle, toutes indemnités comprises, vingt et une piastre par mois
[4].

« Le problème de la pénétration scolaire, dans cette minorité, n'est pas le seul qui soit digne de requérir notre bonne volonté, mais il est d'une importance capitale, car tous les autres dérivent de l'ignorance où le paysan khmer se trouve de ses droits. Très attaché à sa terre, il n'est pas armé, pour défendre son patrimoine, et devient souvent la victime d'incroyables spoliations. Ses bonzes qui sont ses tuteurs naturels et qui l'ont maintenu dans la voie d'une magnifique élévation morale, demeurent étroitement attachés à la tradition et sans lumières sur les obligations et les rigueurs de l'existence moderne. Les "achars", vieillards respectés que l'on consulte dans des occasions difficiles, ne sont, eux non plus, que de fort braves gens attachés à la coutume non écrite, et dénués de ressources, devant les impitoyables nécessités d'une organisation sociale, où la bonne foi des faibles est exposée à de rudes assauts.

« Le contact de deux populations, l'une active et entreprenante, l'autre apathique et traditionaliste, produit quotidiennement des abus, que notre pays ne saurait couvrir de son indifférence, et qui relèvent, semble-t-il, au premier chef, de la mission d'arbitrage fédéral qui lui est dévolue en Indochine. Je connais une agglomération de la province de Long-xuyen, où la fusion du village cambodgien avec un village annamite, mesure décidée sans précaution, par l'autorité administrative, a eu pour résultat de déposséder entièrement, le premier (village cambodgien) de ses terres communales, au profit du second (village annamite) qui était pauvre, en sorte que l'école de celui-ci (village annamite) est devenue florissante, tandis que l'école de celui-là (village cambodgien) végète désormais, faute de ressources
[5]. Je citerai aussi, un hameau cambodgien de la province de Rach-gia, établi loin des routes et des canaux, dont les habitants connurent un jour, par moi, avec stupeur, qu'ils n'étaient plus propriétaires de leurs terrains d'habitation, ceux-ci ayant été incorporés au Domaine public, parce que n'ayant aucun titre régulier ou n'ayant pas été informés du sens des opérations de bornage, ils ne s'étaient pas présentés devant les commissions cadastrales[6].

« Faut-il s'étonner si, devant ce qu'ils considèrent comme des mesures arbitraires, les Cambodgiens abandonnent, parfois en masse, certains villages, pour fuir l'injustice et la spoliation. Des créanciers annamites ou chinois font signer à des paysans khmers illettrés, des actes léonins qui aboutissent, à brève échéance, à la dépossession totale du débiteur. Le mal était devenu si manifeste, et l'usure si coutumière de semblables expropriations, que l'administration française dut s'en alarmer. En 1937, le visa de l'enregistrement fut déclaré obligatoire pour les billets de dettes, avec signature conjointe du débiteur et du créancier. A Tra-vinh, il apparut même nécessaire, d'exiger leur présence, lors de l'inscription des hypothèques sur les registres fonciers.

« Il serait souhaitable, à un autre égard, que fussent élargies ou renforcées, certaines mesures prises à la veille de la guerre, par l'autorité française notamment celles qui prescrivaient que, dans les villages mixtes, l'élément khmer fût représenté par un nombre de notables, proportionnel à son importance, ou encore, celle qui instituait un officier auxiliaire d'état-civil, dans les villages en majorité cambodgiens. Mais ces mesures ne pourraient devenir pleinement efficaces, que si les notables ainsi désignés, prenaient rang, sous certaines conditions et selon l'importance numérique de la minorité, parmi les plus considérables des membres du conseil communal.

« Il est important aussi, que l'élément cambodgien ait la place qui lui revient dans le corps des élus, à quelque échelon qu'ils soient institués. On avait proposé, il y a une vingtaine d'années, que les cantons autonomes, relevant directement de l'autorité supérieure, fussent organisés, là où la minorité se présente en formations suffisamment compactes pour justifier cette mesure. Mais on peut concevoir aussi, que la désignation de chefs de cantons khmers soit déclarée obligatoire, dans les régions où le groupe ethnique est prépondérant, avec des sous-chefs de cantons, là où il ne détient pas la majorité. De toute manière, il est nécessaire que les Cambodgiens relèvent de fonctionnaires ou de conseillers parlant leur langue et que, dans les concours administratifs, un certain nombre de places soient réservées aux candidats aux fonctions publiques, avec à titre provisoire, des conditions spéciales. Il paraît indispensable que la langue cambodgienne soit officiellement admise, dans la rédaction des requêtes ou de la correspondance administrative. Enfin, on ne peut que souhaiter le développement du bureau des affaires cambodgiennes, qui avait été créé à la veille de la guerre, auprès du cabinet du Gouverneur.

« Les Cambodgiens sont appelés à prendre une certaine importance numérique en Cochinchine. Loin d'être en recul, leur nombre s'accroît à chaque recensement. En 1888, ils étaient 150 000 sur 1 600 000 habitants. En 1925, ils étaient devenus 300 000. A la veille de la guerre, on en comptait environ 350 000, sur une population globale de moins de 5 millions d'habitants. Leurs relations avec les Chinois sont excellentes, et l'on compte de nombreux métis sino-cambodgiens qui, fait remarquable, adoptent volontiers les coutumes de la mère, ce qui est rarement le cas pour les métis sino-annamites. Les Khmers de Cochinchine entretiennent généralement avec les Annamites des relations dénuées de sympathie. Ceux-ci les appellent avec condescendance, des "Tho", c'est-à-dire les "hommes de la terre", mais ils rendent mépris pour mépris, en traitant les autres de "Yun", du sanscrit "Yuvana", c'est-à-dire de "Barbare du Nord"
[7]. Il est certain que ces inimitiés, fondées sur des incompatibilités de mœurs, de langue, de religion et aussi, sur toute l'amertume d'anciennes dépossessions, ont pour effet d'entretenir un état de friction latente, préjudiciable à la paix sociale, et qui réclame le contrôle d'un arbitre.

« A cet égard, la Cochinchine apparaît par excellence, comme une terre fédérale, où la France pitoyable aux faibles et généreuse envers des sujets loyaux, doit faire prévaloir des solutions de justice et rétablir l'équilibre que tend à détruire dans le monde, la triviale sélection des plus forts. Il lui appartient d'attribuer à la minorité cambodgienne du Bas-Mékong, un statut politique qui n'a jamais encore été clairement défini, à sauvegarder ses droits par des mesures administratives, à maintenir son originalité culturelle, à protéger surtout sa fortune immobilière, patrimoine qui s'amenuise un peu tous les jours, par l'effet d'incroyables abus. J'ajoute que notre pays ne saurait se désintéresser non plus, de la condition morale de ces populations. La minorité cambodgienne de Cochinchine s'est traditionnellement appuyée sur le Bouddhisme du Sud, tandis que l'Annam adoptait le Bouddhisme du Nord. Il reste à la France, vieille nation chrétienne et libérale, devenue par l'Afrique, une métropole musulmane, à devenir pour l'Asie du Sud-Est, une métropole bouddhique. Ce n'est plus un secret, que le Japon avait tenté d'organiser à son profit, les sectes du Bouddhisme en Indochine, et que le Siam poursuivait depuis longtemps au Cambodge, les mêmes fins, pour des raisons d'expansion territoriale. Les bonzes cambodgiens de Cochinchine se trouvent placés dans le rayonnement de l'Institut bouddhique de Phnom Penh, ayant aussi des attaches au Laos, institut de caractère fédéral, dont le développement est souhaitable et l'importance ne saurait être sous-estimée. »

Conclusion

De nos jours au Cambodge, le Vietnam n’est-il pas en train de vietnamiser le Cambodge en faisant tout pour entraver le développement de la langue cambodgienne par tous les moyens et avec le soutient intéressé des grandes puissances ? La Chine ne pense qu’à développer l’enseignement en langue chinoise, les Etats-Unis et autres ne pensent qu’à développer l’enseignement en langue anglaise, la France ne pense qu’à développer l’enseignement en langue française, le Japon ne pense qu’à développer l’enseignement en langue japonaise.

Or le Cambodge a besoin de former le plus rapidement possible des milliers, voire des dizaines de milliers d’ingénieurs de haut niveau, des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers techniciens bien formés de tout niveau. Il faut donc pouvoir les sélectionner le plus largement possible. Il faut donc prendre un soin particulier à l’enseignement en langue nationale des classes primaires aux universités de haut niveau tout en favorisant l’apprentissage d’une langue étrangère comme deuxième langue. C’est ce qui se passe dans tous les pays développés du monde et aussi chez nos voisins de l’Est comme de l’Ouest.

On parle de la création des Zones Economiques Spéciales (ZES). Il est curieux de constater que ces ZES sont concédées à des sociétés privées ou étrangères. D’autre part pourquoi certains de ces ZES se trouvent curieusement à nos frontières ? Ces ZES auront besoin d’un grand nombre d’ingénieurs de haut niveau, de gestionnaires de haut niveau, des techniciens de tous les niveaux. Les responsables de ces ZES, ne vont-ils pas prendre prétexte de manque de personnel cambodgien qualifié pour recruter du personnel vietnamien à l’Est et du personnel Thai à l’Ouest ? Déjà les Cambodgiens à l’Est apprennent le vietnamien et le thai à l’Ouest ? Le Cambodge n’est-il pas en train de devenir une autre Cochinchine ? Le Vietnam utilisant la même stratégie que la France de la période coloniale pour vietnamiser la Cochinchine ?

Les chefs d’Etats des grandes puissances ne sont-ils pas des grands commis voyageurs pour vendre les produits de leur pays ? Les grandes puissances ne consacrent-elles pas des sommes énormes pour développer la recherche et les industries de pointe ? La politique ne consiste pas à faire seulement de la politique. La pérennité d’une nation réside dans le développement de sa culture écrite enrichie continuellement avec des échanges avec les autres cultures et aussi par le développement de son économie qui ne peut être gérée par ses propres citoyens. En bref, un peuple instruit est la base de la pérennité d’une nation. Un peuple instruit quand 10 % de la population sont de niveau universitaire et 50% de la population adulte achètent au moins un livre par ans. Quand sera le cas au Cambodge ?

Se battre politiquement contre la domination vietnamienne au Cambodge est très bien. Mais est-ce suffisant ? Hanoi n’est-il pas en train de vietnamiser le Cambodge en freinant l’utilisation de notre langue dans l’enseignement supérieur et ne formant qu’au compte les ingénieurs (25 par an) et les techniciens en toutes les branches et à tous les niveaux ? Et aussi en empêchant le développement des entreprises commerciales et industrielles cambodgiennes et en n’utilisant pas en priorité les ingénieurs et techniciens ?

La lutte des Cambodgiens pour se constituer une classe moyenne de plus en plus nombreuse, contre les entraves imposées par le pouvoir en place ne constitue-t-elle pas, aussi une importante contribution pour notre indépendance nationale ?

Le mercredi 8 novembre 2006

Notes : This article is also available into english upon request.

Les notes de (1) à (7) sont de Khemara Jati.
[1] « Apologie pour l’Histoire » par Marc Bloch, (1886 fusillé par les Allemands en 1944), Ed. Armand Colin, Paris 1974 pages 62 – 63.
[2] Il s'agit de l'administration coloniale au Cambodge.
[3] Malleret, malheureusement, se réfère aux thèses de Coedes. Thèse réfutée par B.-P. Groslier.
[4] Nous aurions souhaité que Malleret nous donne aussi le salaire des maîtres annamites.
[5] Il faut souligner que l'administration française de Cochinchine était entre les mains des Annamites. La décision de fusion des deux villages était donc destinée à aboutir au résultat constaté par Malleret. Le texte de Malleret est de 1946. Combien de telles décisions ont-t-elles été prises depuis le début de la colonisation ? Depuis 1860 ? Il n'y a encore aucune recherche pour savoir si les Cambodgiens étaient minoritaires en Cochinchine au moment de l'arrivée des Français. Peut-on faire totalement confiance aux recensements faits par les autorités coloniales entièrement aux mains des Annamites ? D'autre part, depuis les années 1860, pourquoi les frontières de la Cochinchine avançaient inexorablement vers l'Ouest aux dépends du Cambodge ? Nous avons des témoignages qui disent qu'il y avait peu d'Annamites à Saigon ( « Saramani » par Roland Meyer, Ed Imprimerie Nouvelle Albert Portail, Saigon 1919, page 39) et pas un seul Annamite dans l'île de Koh Tral au début du XXè siècle (« Komlah » par Roland Mayer, Ed Pierre Roger, Paris, Paris 1930, page 167). Et aussi dans : Mak Phœun dans son article "La frontière entre le Cambodge et le Vietnam du XVIIè siècle à l'instauration du protectorat français, présentée à travers les chroniques royales khmères", dans "Les Frontières du Vietnam", sous la direction de P. B. Lafont, Ed. L'Harmattan, Paris 1989, pages 136 à 155.
[6] Les agents non français des opérations de bornage, des commissions cadastrales des services de géographie et autres services techniques, étaient à 100% annamites, en Cochinchine comme au Cambodge.
[7] Malleret ne donne malheureusement pas la référence de son affirmation. Il n'y a à ce jour aucune recherche historique sérieuse sur les origines des mots Youn et Cochinchine par exemple. Pourtant Youn vient de Yué ou Viet. Vietnam = Yué du Sud (nan = sud en chinois). Les Chinois nomment toujours leur voisin du Sud : Youan-nan. Le terme "Cochinchina" est apparu la première fois sur la carte de la péninsule indochinoise dressée par un Portugais anonyme vers 1580 ; aussi sur la carte des "Indes Orientales" d'après la carte Mercator (1613), ces deux cartes se trouvent dans "L'Indochine" en 2 volumes de Georges Maspéro, Ed. G. Van Oest, 1929 ; aussi dans la carte de la Chine, dans l'Atlas de Mercator publié par Jocondus Hondius, Amsterdam, 1606, The Stapleton Collection. Sur ces trois cartes Cochinchina se trouve en Chine du Sud, au Nord du Champa et de Camboia.

Le Viêt-Nam a envahit de nouveau le Cambodge

CAMBODGE :

Le Vietnam a envahit de nouveau le Cambodge

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 4 novembre 2006

D O C U M E N T

Extrait du
RAPPORT DE LA « TASK FORCE »
Remis à
LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DES U.S.A.
Signé par
YOSSEF BODANSKY ET
VAUGHN S. FORREST

daté du 26 avril 1990

"Il est de plus en plus certain que le Vietnam est en train de consolider son contrôle sur le Laos et le Cambodge malgré l'intensification de la lutte pour la libération nationale contre les régimes fantoches installés par les Vietnamiens dans ces pays. Hanoï proclame en parole qu'il retire ses troupes. Mais en fait Hanoï a comme objectif à long terme, une solution dans le Sud-est asiatique, basée sur une région unifiée sous le contrôle du Vietnam. Actuellement l'existence de régimes fantoches locaux à Phnom Penh et à Vientiane sert les intérêts de Hanoï. Les forces armées vietnamiennes et les forces locales qu'elles contrôlent facilitent le soutien des régimes alliés dans les secteurs clefs du Cambodge et du Laos.

"Il y a, en effet des indications que le Vietnam est en train de chercher un arrangement régional alors que l'Armée populaire du Vietnam (APVN) est sur le point de finir de mettre au point une structure de commandement régionale sous les ordres directs de Hanoï. Dans les régions du Laos et du Cambodge où ces opérations sont les plus avancées, cette orientation de la politique de Hanoï se traduit par la formation des unités (militaires) dominées par les Vietnamiens et l'organisation de structures commandement de l'APVN sans tenir compte des frontières nationales. Prises dans son ensemble, ces opérations reflètent les intentions et la détermination de Hanoï de dominer le Sud-est de l'Asie."...

"Après une brève période de grands mouvements de troupes pour montrer ostensiblement que les forces vietnamiennes ont quitté le Cambodge, le déploiement des forces vietnamiennes se stabilise. Actuellement, les Vietnamiens continuent à maintenir leurs forces dans les points stratégiques clefs et à étendre les zones sous leur contrôle. Adoptant la doctrine sovieto-cubaine, ces forces de l'APVN utilisent le principe des opérations "Quality Edge" (Soutiens qualitatifs). C'est-à-dire, elles soutiennent les unités locales dans les combats contre les forces de libération nationale pour leur donner à peu près les mêmes qualités que l'APVN. Plus précisément, invariablement, les Vietnamiens fournissent les soutiens décisifs dans toutes les batailles en tenant dans les mains les facteurs stratégiques de décision, comme la puissance de feu de destruction constituée par l'artillerie et l'aviation (y compris l'utilisation des armes chimiques), aussi bien que les moyens de déplacements tactiques comprenant le parachutage des forces d'élite par hélicoptères aux points clefs."

"Ainsi il est évident que les Vietnamiens se préparent à une solution pour le long terme. Dans ce contexte, leur stratégie est de ne se battre militairement contre les forces de libérations nationales que quand c'est nécessaire. Les Vietnamiens et leurs alliés concentrent leurs efforts pour contrôler les infrastructures stratégiques et les zones économiques clefs. Ce faisant les Vietnamiens sont en mesure d'isoler la résistance de ses bases de soutien dans la population civile. Ils utilisent la puissance de feu de l'artillerie et de l'aviation (y compris l'utilisation des armes chimiques), pour obliger la population à fuir les régions où la résistance peut trouver des ressources et des soutiens et à rejoindre les zones contrôlées par eux."...

"Le déploiement actuel des forces vietnamiennes au Cambodge est accompli en deux phases. La première phase est accomplie pendant le "retrait" de fin 1989. Les unités les plus importantes de l'APVN et quelques unités secondaires sont laissées sur place en des points stratégiques clefs. Chacune des unités secondaires commande à quelques unités des FARPK (Forces Armées de la République Populaire du Kampuchea), ayant des noyaux durs de qualités comparables à celle de l'APVN. Les Vietnamiens cachent des dépôts d'armes et de munitions dans la campagne. En outre les forces vietnamiennes effectivement retirées du Cambodge, restent toujours groupées, juste derrière les frontières, en quatre endroits, (du sud au nord: front 479, front 979, front 779, front 579) avec des terrains d'entraînement et des stocks de munitions. Elles sont prêtes à retourner pour intervenir au Cambodge. La seconde phase est encore en cours. Elle consiste en retour de petites unités au Cambodge pour consolider les positions et garnisons dans les principales installations militaires, à partir desquelles, des petites unités vietnamiennes indépendantes ou des unités des FRAPK sous leur commandement, se répartissent dans des petits postes ou garnisons dans les campagnes, étendant ainsi graduellement les zones sous le contrôle de Hanoï et déplaçant la population rurale à leur guise.

"En plus, Hanoï développe ses centres stratégiques d'intervention régionale sur les frontières Lao-Cambodge-Thaïlande. Sur l'île vietnamienne Phu Quoc, l'infanterie navale de l'APVN, subordonnée à la division F590, est destinée à contrôler les principaux ports du Cambodge. (Ces activités à l'échelle régionale sont décrites en détail ci-dessous.)"

Le déploiement actuel des forces de l'APVN et des FARPK sous leur commandement (à l'exclusion des provinces annexées et de la force d'intervention régionale), est contrôlé par un Groupe de Quartiers Généraux (GQG) installé dans le sud-est de la province de Pursat où sont déployés 7,000 hommes à 46,970 hommes de l'APVN. (Ce total ne comprend pas les multiples petites garnisons qui tapissent un peu partout le Cambodge rural.)"...

"Les troupes cambodgiennes placées sous le commandement de ce GQG sont divisées en deux Échelons Stratégiques (ES): le Commandement Ouest constitue l'Échelon numéro 1 qui à son tour est divisé en deux Fronts. Le Front Nord est destiné à coordonner les opérations menées par des combattants autonomes à partir de la Thaïlande. Le Front Sud est destiné à assurer la sécurité des principales lignes de communication en provenance du Sud-Vietnam et celle des rivages maritimes du Cambodge. L'Échelon numéro 2 est le Commandement Est qui est destiné à contrôler l'intérieur du Cambodge et spécialement l'intérieur des terres et les transports fluviaux.

"Cette structure de commandement reste intacte même durant la période la plus active du "retrait" des troupes vietnamiennes. En effet, le GQG et son personnel de quelques 7,000 hommes restent bien à l'intérieur du Cambodge fin 1989: le contrôle du Front Nord de l'Échelon numéro 1 est assuré par deux régiments de l'APVN "laissé sur place" (1,200 et 3,000 hommes respectivement). Ces régiments contrôlent à leur tour 3 divisions des FARPK (288ème, 5ème et 81ème) dont le noyau dur est composé d'hommes de l'APVN, et 2 divisions des FARPK (196ème et 4ème) avec seulement des éléments des forces spéciales de l'APVN, toutes déployées le long de la frontière thaïe. Le contrôle du Front Sud de l'ES numéro un est assuré par un seul régiment de l'APVN "laissé sur place" (5,000 hommes spécialisés dans la sécurité intérieure). Ce régiment contrôle aussi 2 divisions des FARPK dont le noyau dur est composé d'hommes de l'APVN, déployées le long des cours d'eau. Pendant le "retrait", le contrôle de l'ES numéro 2 est assuré par 2 régiments de l'APVN (3,000 hommes chaque) cantonnés dans l'est de Kompong Cham, province proche de la frontière vietnamienne. Une division des FARPK dont le noyau dur est composé d'Hommes de l'APVN, stationnée au centre de la province et placée sous le commandement de cette force. En tout, environ 27,000 soldats restent déployés au Cambodge dans cette structure quand le "retrait" est déclaré complet.

"L'expansion et le renforcement de ce dispositif commencent en octobre 1989 et continuent à progresser. Le déploiement dans le Front Sud de l'ES numéro 1 se renforce d'une façon significative. Le Front Nord de l'ES numéro 1, pour assurer les principales lignes de communications, obtient des renforts. D'autre part, les Vietnamiens construisent graduellement leurs garnisons près de Phnom Penh et dans Kompong Thom où un régiment de l'APVN de 1,560 hommes assure les communications vers le nord. Par ailleurs, plusieurs bataillons et compagnies sont toujours au Cambodge pour développer le déploiement de l'APVN. Des bataillons de l'infanterie de Marine de la division F590 de l'île de Phu Quoc ont débarqué dans la province de Kampot (1,000 hommes), et à Thmar Sar (450 hommes). Finalement, cela fait environ un total entre 18,310 et 18,610 hommes de l'APVN sont réintroduits au Cambodge entre le 1er octobre 1989 et le 2 mars 1990.

"Les unités de l'APVN et les FARPK sous leur contrôle continue à étendre les régions couvertes par leurs opérations. Leurs objectifs principaux sont de démanteler les axes de pénétration des forces de libération nationale et d'avancer dans les zones contrôlées par ces dernières. Elles continuent à lancer des offensives près des frontières de la Thaïlande, pour affaiblir les combattants pour la liberté et pour empêcher leur avance à l'intérieur du pays. Simultanément les bombardements par l'artillerie et par l'avion vietnamien sont destinés à tuer la population civile, à les forcer à s'écarter des lignes principales de communication et à se réfugier plus à l'intérieur du pays, de telle sorte qu'elle ne peut plus avoir de contact avec les combattants pour la liberté et par suite apporter leur soutien."...

"Par cette stratégie, le Vietnam espère consolider sur des régions vitales du Cambodge. Il a annexé déjà effectivement trois provinces et traçant de nouvelles frontières dans d'autres zones. Dans les provinces du sud, les Vietnamiens finissent de creuser un canal long de 550 kilomètres de Kep-Hatien sur le Golfe de Thaïlande jusqu'à Chipou. Le canal est large de 25 mètres et se trouve de 4 à 5 kilomètres à l'intérieur des terres cambodgiennes. Le Vietnam a donc déjà annexé cette bande de terre. Dans les provinces de l'est, une nouvelle frontière est tracée entre Chipou et la région de Bo Duc, plaçant sous son contrôle les hauteurs et les routes principales. Toute la région à l'est de cette ligne est également annexée par le Vietnam.

"Encore plus significatif est l'annexion par le Vietnam des provinces cambodgiennes de l'est Mondulkiri, Rattanakiri et Stung Trèng (à l'est du Mékong). L'annexion se fait par l'installation massive de quelques 400,000 à 950,000 Vietnamiens qui ont leur propre milice de 100,000 hommes. Les colons vietnamiens exploitent les mines d'or, (les mines de pierres précieuses NDK), les forêts de très vieux arbres et y interdisent les autorités cambodgiennes de s'y rendre. L'administration de cette région est faite par le Groupe de Quartiers Généraux F7579 à l'est de Lomphat, avec trois régiments de l'APVN pour la sécurité intérieure (les 5501è, 5502è et 5503è). En plus trois unités plus petites - de la taille d'un bataillon à celle d'un régiment - stationnent également dans ces provinces. Ce déploiement reste intact pendant l'opération de "retrait". Maintenant il est soutenu par les forces du Front 579 déployés à cheval sur frontière vietnamienne."...

"Plus important est l'organisation d'une force multinationale dominée par l'APVN, près des frontières Lao-Cambodge-Taïlande. Le noyau de cette force est composé de deux divisions de l'APVN. Au Cambodge c'est la division F315 basée dans la province du nord de Pré Vihear (les 7,000 hommes d'avant l'opération de "retrait", sont maintenant renforcés par l'arrivée de 2,200 autres à la fin de 1989). Juste au nord des frontières du Laos sont 4,000 hommes de la division F2 de l'APVN, soutenus par un régiment indépendant de l'APVN un peu plus au nord. Ces unités vietnamiennes servent somme Soutien Qualitatif (Quality Edge) pour les unités cambodgiennes et laotiennes qu'elles dirigent. Ces forces combinées subissent un entraînement très poussé et sont supervisées par des conseillers et experts soviétiques. Certaines de ces forces d'élite de l'APVN sont envoyées fin novembre 1989 pour soutenir les opérations sur la route no 10 entre Battambang et Païlin. Ces troupes vietnamiennes portent les uniformes des FARPK.

"Une autre "Division indépendante" multinationale d'élite est entraînée par les Vietnamiens au sud de la province de Mondulkiri, dans la région tenue par les régiments 5501 et 5503. Ces troupes sont entraînées avec les uniformes des "para" et utilisent un drapeau cambodgien spécial. On note la présence des conseillers soviétiques dans des camps d'entraînement. Ces troupes seront déployées dans la région des frontières Lao-Cambodge-Thaïlande."...


NOS COMMENTAIRES :

Ce rapport fait l'objet d'un article dans le journal New York City Tribune du 8 mai 1990.

Pour comprendre la révolution de la géostratégie des USA en Asie du sud-est, voici une chronologie des événements en 1989-1990.

§ 9 novembre 1989: Chute du mur de Berlin.
§ 26 avril 1990: Rapport de la Chambre des Représentants des USA dont nous venons de donner quelques extraits.
§ 18 juillet 1990: De retour de Moscou, James Baker, Secrétaire d'État des USA, ne soutient plus le Gouvernement de Coalition du Kampuchea Démocratique.
§ 16 au 27 septembre 1990: Mission de François Ponchaud au Cambodge. Dans son rapport il écrit:

"En me rendant au Cambodge, je n'ai pas cherché à rencontrer les communautés vietnamiennes catholiques du Cambodge, sinon le petit groupe de Moat Krasas. J'ai cependant accompagné deux prêtres américains qui se rendaient à Kompong Chhnang pour y célébrer la messe pour les Vietnamiens. Une petite communauté d'une centaine de personnes s'y réunie sur la terrasse d'un immeuble du marché, pavoisée aux couleurs du Vatican. Les prêtres célèbrent habituellement en américain, avec traduction en vietnamien. J'ai été invité au repas qui suivit la messe: tous les participants masculins de ces agapes étaient membres de l'Association (politique) des Résidents Vietnamiens du Cambodge, et ne faisaient aucun mystère des liens qui les unissaient à l'ambassade (du Vietnam à Phnom Penh)."

De la présence des Vietnamiens dans cette ville, Ponchaud écrit: "À Kompong Chhnang, au "marché en-bas", il faut avoir de bonnes lunettes pour décrire des Khmers! ".

Ainsi le rapport de la Chambre des Représentants des USA décrit avec précision les intentions réelles de Hanoï dans la région. Mais les intérêts géostratégiques des USA commandent le rapprochement avec le Vietnam. Les USA ont-ils les moyens de sa politique? C'est au peuple cambodgien à la ville comme à la campagne de démontrer leur volonté de lutte contre la domination vietnamienne et obliger les USA de réviser sa politique cambodgienne. q

[Fin]

Posté par Khemara Jati
khemarajati@sympatico.ca

Note : This article is also available into english upon request.

Comment libérer le Cambodge ? (4)

NOUVELLES DU CAMBODGE N° 0647-F

LA ROUTE DE LIBÉRATION DU CAMBODGE DE LA DOMINATION VIETNAMIENNE (4)

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 24 octobre 2006

Les erreurs de nos hommes politiques.

Avec les critères ci-dessus, nous avons déjà donné notre opinion dans le texte ci-dessus. Nous essayerons d’examiner les activités passées de nos responsables politiques. Ce sera l’objet de notre prochain article.

Pour connaître les relations entre la France et le Vietnam, il est intéressant de se reporter à « Histoire de l’Indochine, La Perle de l’Empire 1624 – 1954 » par Philippe Héduy, Ed. Albin Michel, Paris 1998.

Pour les relations entre le Siam et les Européens se reporter à l’article dans :
http://www.bottu.org/histoire/histoire09htm

Pour les relations entre le Siam et les Européens se reporter à l’article dans :
http://www.bottu.org/histoire/histoire09htm

Nous reproduisons ci-dessous un passage de l’article :

« L’arrivée des Portugais

« En 1491, Ramathibodi II (r. 1491 – 1529) un des fils Borom Trailokanat montait sur le trône. Il devait prendre des mesures pour améliorer l’armée, la basant sur un service militaire obligatoire suite aux conflits continuels avec la Birmanie.

« C’est à lui que nous devons l’ouverture des relations avec l’Europe. En 1498, Vasco de Gama (Portugais), après avoir passé le Cap de Bonne Espérance et traversé l’océan Indien, a atteint finalement Calicut, une ville sur la côte du Malabar en Inde, où il fit de larges profits dans le commerce.

« Ceci devait encourager ses concitoyens à aller vers ce pays, où ils s’organisèrent pour obtenir un territoire sur lequel établir des villes. Goa devenait leur quartier général sous la responsabilité d’un Vice-Roi. Ils s’élancèrent vers l’est à la recherche de biens orientaux tels qu’épices, soie et porcelaine.

« En 1511, Alfonso d’Albuquerque attaquait Malacca, et fit voile vers le Siam. Reçu en audience par le roi Ramathibodi II, un traité fut signé (le premier traité entre le Siam et un Etat occidental) accordant aux Portugais le droit de résider, de commercer dans l’intérieur du pays en échange de canons et munitions.

« C’est ainsi que des mercenaires portugais participèrent aux campagnes militaires contre Chiang Mai et enseignèrent aux Thais l’art de fabriquer des canons et de se servir des mousquets. Malgré cela, les Thais ne purent s’opposer à la pression croissante des Birmans. Le roi de Pégou, Tabinshwéti, à la tête d’un empire birman nouvellement unifié, avait jeté son dévolu sur Ayutthaya affaiblie par ses guerres contre Chiang Mai.

« Neuf ans après le décès de Ramathibodi II en 1529, Ayutthaya était impliqué, pour la première fois dans une guerre avec la Birmanie. Ceci devait conduire à trois guerres successives en 1538, 1548 et 1569, avec pour résultat la chute d’Ayutthaya.

« En 1549, quand Tabinshwéti attaqua, Mahachakkraphat venait juste de monter sur le trône. Les Birmans ayant mis le siège devant sa capitale, Mahachakkraphat tenta une sortie. Ses fils, sa femme, sa fille l’accompagnaient, montés sur des éléphants. L’histoire a conservé le souvenir de l’héroïsme de la reine Sri Suriyothai. Vêtue en guerrier, elle jeta sa monture entre le roi et son ennemi, quand elle vit son mari en danger ; elle sauva son époux mais perdit la vie. Le chédi contenant les cendres de la reine est toujours visible à Ayutthaya.

« L’invasion birmane en 1549 était condamnée à l’échec. les armées de Tabinshwéti se retirèrent et Mahachakkraphat entreprit de renforcer les défenses de son royaume avec l’aide des Portugais. Trois cents éléphants sauvages furent capturés et dressés en vue d’éventuelles guerres contre la Birmanie.

« Sept de ces nouveaux éléphants étaient blancs. Or les rois bouddhiques de l’Asie du sud-est ont toujours chéri les éléphants blancs. Considérés comme des animaux de bon augure, indispensables au prestige royal et à la prospérité du pays. Quand cette nouvelle parvint au roi birman Bayinnaung, il donna le signal d’une nouvelle invasion en 1564. Ayutthaya fut définitivement vaincue en 1569 et les Birmans pillèrent la ville de fond en comble ; ils déportèrent sa population en masse vers la Birmanie. Mahachakkraphat était parmi les captifs : il mourut avant d’arriver à Pégou. »

Ayutthaya, de la restauration de l’indépendance à la fin de la période d’influence.

Ayutthaya fut sous la coupe de la Birmanie durant une période de quinze années avec le roi Maha Thammaracha gouvernant le pays sous la surveillance des fonctionnaires birmans.

Maha Thammaracha, principal suppléant du roi vaincu, fut chargé par Bayinnaung de gouverner le Siam désormais vassalisé. Son fils aîné, Narésuan, fut emmené comme otage en Birmanie et élevé comme un prince birman par le roi Bayinnaung. Narésuan rentra au Siam à l’âge de quinze ans et, avec son jeune frère Ekatotsarot, commença immédiatement à rassembler des combattants.

Pendant ses jeunes années, Narésuan avait pu observer l’armée birmane et étudier sa stratégie. Il entraîna ses troupes à la guérilla ; leur tactique d’attaque rapide suivie de repli leur valut le surnom de « Tigres sauvages » et de « Chats aux aguets ».

Des révoltes dans les Etats Shans et à Ava retenaient le jeune souverain Nandabayin dans son royaume et Narésuan en profita en 1584 pour déclarer Ayutthaya libérée du joug birman.

Cette déclaration d’indépendance du Siam fut faite dans la ville de Kraeng en mai 1584, alors qu’il était supposé commander un contingent thailandais en route pour aider à stopper la rébellion. Pendant les neuf années qui suivirent, les Birmans tentèrent plusieurs fois de soumettre à nouveau le Siam, mais Narésuan avait pris toutes les mesures défensives nécessaires et repoussa les invasions. En 1593, à l'occasion de l'une d'elles, il tua, à Nong Sa Rai près de Suphan Buri, le prince héritier birman, en combat singulier à dos d’éléphant. A la mort de son père, en 1590, Narésuan assuma toute la royauté en reconsolida le Siam.

Dans son conflit avec la Birmanie, il retourna la situation en sa faveur et imposa en 1594 sa suzeraineté au roi du Cambodge et à certains princes shans. Il tenta à deux reprises, mais en vain, de conquérir la Birmanie.

Sous Narésuan le grand, Ayutthaya connut une période de prospérité dont témoignent les descriptions faites par les Européens qui visitèrent la métropole au XVII7 siècle. En effet, durant le règne de Narésuan le grand, les Espagnoles, après les Portugais, commencèrent des échanges commerciaux avec Ayutthaya.

Après avoir réglé les problèmes aux Philippines en désignant Manille comme leur capitale en 1571, ils se répandirent dans les pays voisins.

En 1598, Don Tello de Aguirre quittait Manille pour une mission diplomatique à Ayutthaya. Cette ambassade devait mener à la signature d’un traité d’amitié et de commerce avec le Siam. Les termes du traité étaient similaires à ceux du traité d’avec le Portugal en 1516.

Les Birmans ont attaqué en premier les Siamois parce qu’ils avaient acquis des armes à feu vendues par les Portugais, avant Ayutthaya :

“The European presence in Ayutthaya simply fed into this continuing process of state development, mainly due to the military technology they introduced at a time when Ayutthayan kings were attempting to assert their superiority over often reluctant vassals. In a climate where military organization was receiving closer attention, European weapons were attractive because they could be effectively combined with traditional fighting methods to give the possessor a distinct advantage, even if it was simply to inspire terror through the noise of explosives. Thus a contract made with Ramathibodi in 1518 allowed the Portuguese to trade in Ayutthaya, Ligor, Tenasserim and Pattani in return for guns and war munitions, and a number of Portuguese mercenaries were attached to the Ayutthayan army.

“However, it was in Burma where European military technology apparently had its greatest appeal, and may have made a measurable contribution to the resurgence of Burman strength. The founders of a new dynasty originating from Toungoo, Tabinshwehti (r.1531-50) and his successor Bayinnaung (r. 1551-81), aimed from the outset to recreate a centralized state in the Irrawaddy basin, and the advent of the Europeans was thus timely. Experts in gunnery were recruited into royal service, and during successful attacks on the Mon capital of Pegu in the late 1530s and on Martaban in the 1540s several hundred Portuguese mercenaries were reportedly deployed. While it would be wrong to overestimate the effects of European firearms, local chronicles speak with awe of the ‘great guns’ by which Tabinshwehti could ‘smash the [Shan] saw-dwas’ warboats to splinters’ since they ‘had no cannon or large mortars’. By the late 1550s he even defeated Chiengmai, which had successfully resisted the armies of Ayutthaya eleven years earlier. So impressive were his victories that one eminent Thai prince, the viceroy of the northern provinces, was ever willing to attach himself to this seemingly invincible conqueror. Besieged by Bayinnaung’s army, Ayutthaya fell in August 1569 and by 1574 Vientiane in Lan Sang was also in Burman hand. For the first time in history Burman rulers had been able to subdue the ‘great arc of Thai-speaking people’, and from Chiengmai to Ayutthaya splendid new pagodas built at Bayinnaung’s direction proclaimed the power of the king whom the Mons referred to in awe as the ‘Victor of the Ten Directions’.”
[1]

Ainsi les Birmans ont vaincu les Siamois parce qu’ils avaient acquis des armes à feu, vendues par le Portugais avant Ayutthaya, en plus ils sont aidés par des centaines de mercenaires portugais. L’intérêt des Portugais était de vendre des armes à feu et de gagner de l’argent. Les Portugais vendaient ainsi des armes aussi bien aux Birmans qu’aux Siamois. Ainsi les Portugais n’étaient-ils pas les arbitres des guerres entre la Birmanie et le Siam ? Qu’en est-il des Cambodgiens durant cette période ?

Rappelons que les Siamois ont pillé Angkor en 1431 emportant avec eux toutes les richesses de la ville dont deux statues monumentales de bronze et déporté la presque totalité de nos intellectuels. Notons que Angkor était la seule civilisation de l’Asie Sud-Est à produire des œuvres monumentales en bronze. Certaines statues peuvent mesure 6 mètres[2].

« Pour la statuaire, la nouveauté n’est pas moins grande, concernant aussi bien la technique que les sources d’inspiration. Dans le domaine de la technique, le fait le plus marquant est l’importance, jusqu’à présent insoupçonnée, d’un art monumental du bronze alliant aux ressources d’un métier traditionnel des progrès évidents. Pour l’inspiration, la qualité exceptionnelle du modelé révèle que les artistes n’ont pas été seulement les portraitistes officiels qu’ont avait déjà reconnus. Passionnés pour les formes vivantes qu’ils ont observées avec une acuité inattendue, ils ont interprété les thèmes les plus classiques avec une originalité, une personnalité que nous ne retrouverons à aucun autre moment dans l’Asie du Sud-est. » (page 334).

Lors du pillage d’Ayutthaya en 1569, les birmans ont ramené chez eux un énorme butin dont deux statues monumentales angkoriennes retrouvées de nos jours à la pagode Arakan (Birmanie).

La bataille de Longvêk avait lieu en 1595 non en 1594, date fourni par Bottu ci-dessus. D’après le document ci-dessus, les armées siamoises ont acquis une solide formation militaire dans leurs luttes contre les armées birmans. Les Siamois savent dont parfaitement utiliser les armées à feu achetées aux Portugais, y compris des canons. D’ailleurs nos ancêtres nous ont légué une légende où il était mentionné que les Siamois « tiraient des boulets en argent ». Il serait intéressant d’interpréter cette légende à la lumière des informations ci-dessus. Au sujet de la présence de quelques trois ou quatre mercenaires portugais avec quelques armes à feu du côté cambodgien, se reporter au livre de Bernard Philippe Groslier « Angkor et le Cambodge au XVIè siècle, d’après les sources portugaises et espagnoles » Presses Universitaires de France, Paris 1958. L’intervention des Portugais dans notre région est-elle négligeable dans notre défaite à Longvêk ?

Ne faut-il pas réécrire notre histoire à la lumière de ces nouvelles informations ?

Note : This article is available into english upon request.

[1] Extrait de « The Cambridge History of Southeast Asia » Volume One, Part Two, from c. 1500 to c. 1800, edited by Nicholas Tarling, Cambridge University Press, 1992, 1999, page 71 et 72.
[2] « Notes sur l’art du bronze dans l’ancien Cambodge » par Jean Boisselier, dans Artibus Asiae, vol XXIX, 1967, n° 4, pages 275 à 334