2008-08-29

La victoire d'Ô Smach

Nouvelles du Cambodge N° 0838-F

PREAH VIHEAR
et la défense de nos intérêts nationaux fondamentaux


Khemara Jati
Montréal, Québec
25 août 2008

Maintenant, face à la fois aux Vietnamiens et aux Thaïlandais, comment renforcer notre unité nationale durablement et notre volonté de lutter ensemble contre ces menaces ?

L’histoire montre que les relations internationales sont toujours basées sur le rapport global des forces : culturelle, intellectuelle, économique, militaire et politique.

La Cité à Travers l’Histoire. Par Lewis Mumford. Editions du Seuil, Paris 1964, traduit de l’américain « The City in History »

Page 39 :

«Du moins pourra-t-on voir à cette occasion s’appliquer dans toute sa rigueur la théorie de la sélection naturelle ; car au cours des cinq ou six deniers millénaires, les peuples les plus doux, les plus aimables et les plus accueillants ont été exterminés ou condamnés à disparaître, tandis que prospéraient les groupements les plus belliqueux qui relevaient tour à tour le flambeau civilisateur. »

Le monde est peuplé de « Monstres froids ». Dans les relations internationales, il n’y a jamais de sentiment. Il n’y a que les intérêts à défendre. Il faut toujours avoir cela à l’esprit pour comprendre les événements et les conflits internationaux. Il est important de ne pas écouter les paroles qui sont souvent des chants des sirènes qui veulent ensorceler Odyssée (Ulysse en latin), mais les actes. C’est comme pour les magiciens ou les prestidigitateurs, il ne faut pas écouter leurs discours, mais bien observer leurs mains et gestes.

En réalité tout est intérêts géostratégiques pour les grandes puissances et intérêts nationaux chez nos voisins. Et tout se joue sur les rapports des forces globaux : culturelle, intellectuelle, économique, militaire et politique.

Un peuple n’est uni solidement et durablement que s’il est instruit. On ne peut instruire un peuple que dans la langue maternelle qui est maintenant au Cambodge la langue nationale. On ne peut élever le niveau des connaissances d’un peuple que si on utilise cette langue nationale de l’école maternelle jusqu’aux universités, y compris surtout les facultés scientifiques. Un peuple instruit possède une armée instruite avec des soldats et marins instruits et des officiers de niveau universitaire, capables d’utiliser les armes les plus modernes utilisées sur terre, sur mer et dans les airs. C’est ce que font tous les pays d’Asie, en particuliers en Asie du Sud-Est et plus particulièrement chez nos voisins. Le Cambodge est la seule exception. C’est justement un de nos points faibles fondamentaux. Il ne faut pas compter sur les grandes puissances pour venir nous aider. N’est-ce pas pour maintenir la division, que le pouvoir vietnamien continue à interdire à nos sœurs et frères du Kampuchea Krom de s’instruire dans leur langue maternelle et d’interdire la diffusion des livres en cambodgien publiés au Cambodge ?

Un peuple n’est uni qu’avec un bon système scolaire partout dans le pays, avec de bons livres dans toutes les matières, en particulier en mathématique, en science et surtout en histoire nationale et en géographie du Cambodge, avec des professeurs bien, formés et bien rémunérés. Il faut donc avoir des bonnes facultés d’Histoire et de Géographie et avoir de bons livres d’histoire du Cambodge et du monde. Est-ce le cas actuellement pour le Cambodge ? N’est pas une des raisons de l’ignorance des Cambodgiens, particulièrement à la campagne ?

Un peuple n’est uni solidement que s’il y a des bonnes routes partout dans le pays, en particulier de bonnes routes vers nos frontières pour pouvoir aussi y transporter rapidement nos troupes en cas de nécessité. Au sujet de la défense de Preah Vihear, pourquoi n’y a-t-il pas encore au moins une bonne route vers Preah Vihear ? Pourquoi n’y a-t-il pas encore un développement touristique vers ce site ? Pourquoi n’y a-t-il pas encore un téléphérique pour les personnes âgées ou les personnes fatiguées ? Comment les Cambodgiens qui vivent dans cette région, peuvent-ils participer à la défense de Preah Vihear, s’ils sont en majorité illettrés, peu instruits, ignorants l’histoire de Preah Vihear ? S’ils dépendent économiquement de la Thailande ? Défendre Preah Vihear politiquement est très bien. Est-ce suffisant ?

Pour un pays, les bonnes routes sont une des conditions fondamentales pour l’unité d’une nation. Elles servent, à la défense de nos frontières, au développement du commerce, à permettre à nos compatriotes de bien connaître le Cambodge et ainsi à maintenir de bonnes relations entre les habitants des diverses régions et plus particulièrement habitant nos frontières. De bonnes lignes de chemin de fer sont une autre nécessité pour économiser les frais de transport des hommes et des marchandises.

Notre pays ne possède un port maritime pour l’indépendance de notre commerce international que depuis 1969. Nos côtes, d’autre part, possèdent des sites enchanteurs que disputent déjà des promoteurs pour construire des hôtels et des villages de vacance de luxe. Bokor est déjà entre les mains de la société vietnamienne Sokimex. Nos côtes sont aussi appelées à devenir des centres industriels les plus importants de l’Asie du Sud-Est, surclassant de loin Saigon et Bangkok. Nos côtes bordent la chaîne des Cardamomes. Ainsi, durant la période chaude, il suffit d’aller à quelques dizaines de kilomètres à l’intérieur pour trouver des régions boisées et assez élevées pour vivre dans la fraîcheur. En plus il y a le pétrole et, à cause du prix du pétrole, on finira par construire le canal de Kra pour diminuer le trajet des bateaux allant d’Europe en Asie de plus de mille kilomètres. L’opposition de Singapour tiendra-t-elle devant cette nécessité commerciale ? Une fois le canal de Kra construit, Nos côtes se trouveront juste en face, à sa sortie. Est-ce pour cette raison que le Japon est en train de construire un câble optique sous-marin directement de Sihanoukville à Tokyo ?

Pourquoi, n’y a-t-il pas encore un projet pour construire une raffinerie de pétrole pour raffiner notre pétrole ? Pourquoi accepter éternellement notre dépendance énergétique de nos voisins ? Avant 1970, il y avait pourtant une raffinerie de pétrole proche de Sihanoukville. Pourquoi obliger notre pays à dépendre de nos voisins en énergie électrique ? Pourquoi, en attendant l’exploitation de notre gaz naturel et de notre pétrole, ne pas investir dans la construction des centrales thermiques ? Un pays où les trois quarts de nos paysans s’éclairent encore à la bougie, peut-il se battre, même pacifiquement, contre d’autres qui s’éclairent à l’électricité ? Comment un peuple de plus de plus de 12 millions d’habitants, qui ne possède que 13 000 foyers reliés à Internet peut-il efficacement contre d’autres qui possèdent des dizaines de millions d’internautes ?

Certes les Cambodgiens au Cambodge sont de plus en plus conscients de ces problèmes cruciaux pour l’avenir du Cambodge. Mais les Cambodgiens à l’étranger sont-ils conscients ? Combien viennent apporter leurs aides dans ces domaines ?

Le développement économique rapide ne peut se faire qu’avec la création dans les plus brefs délais, des universités pour former le plus grand nombre possible de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens, à tous les niveaux et dans tous les domaines, de managers etc., en langue nationale avec une seconde langue étrangère. Les universités en langues étrangères ne peuvent former qu’un petit nombre d’intellectuels, même de très haut niveau, mais coupés du peuple qui est resté ignorant. Sinon, le Cambodge va devenir un pays où les étrangers, surtout nos voisins occupent déjà et occuperont les postes clefs de nos entreprises, de nos usines et donc de notre économie et les Cambodgiens ne constituent et ne constitueront que les travailleurs, des ouvriers et des coolies. Dans l’ensemble notre peuple végète et végètera et de disparaître dans l’oublie.

Boycotter les produits thaïs, c’est bien. Mais ne faut-il pas aller plus loin ? Consommer et utiliser avant tout cambodgien, c’est mille fois mieux. La préférence aux produits cambodgiens, aux entreprises cambodgiennes en tout, particulièrement en construction n’est-elle pas un acte pour développer notre unité nationale, et notre économie nationale ? Dans le cas où il n’y a ni entreprises, ni produits cambodgiens, pourquoi ne pas aider nos compatriotes à en créer et à en produire ? Pourquoi ne pas créer des écoles ou des instituts, utilisant comme véhicule notre langue, pour les former ? Pourquoi le Cambodge, est-il le seul pays de notre région à ne pas utiliser sa langue nationale dans les universités ? Pourquoi, dans Internet, n’avons-nous pas encore un moteur de recherche en notre langue, utilisable par tous ? Pourquoi avons-nous si peu de familles utilisant internet ? Pourquoi n’avons-nous que 13 000 internautes pour 14 millions d’habitants ?

L’expérience actuelle concernant le problème de Preah Vihear montre qu’il y a une certaine unanimité nationale en Thailande, capable de mobiliser la population pour organiser de grandes manifestations en face de Preah Vihear et à Bangkok. L’armée thaïe est infiniment plus moderne et plus instruite que l’armée cambodgienne composée de soldats et d’officiers peu instruits.

Si les États-unis dominent le monde, c’est qu’ils possèdent les universités et les laboratoires de recherche les plus performants avec des industries les plus développées du monde. La suprématie des États-unis dans le monde réside sur ces points. Cette suprématie n’est-elle pas déjà contestée ?

En conclusion, nos compatriotes au Cambodge, dans des conditions extrêmement difficiles sont en train de se battre dans les directions énoncées ci-dessus. Beaucoup de nos compatriotes à l’étranger, se préparent à aller s’installer au Cambodge après la retraite, apportant leurs connaissances et leurs savoir-faire. Une classe moyenne est en train de se constituer au Cambodge. Après la défaite de l’APV devant O Smach, Hanoi, tout en ayant ses pions haut placés, peut-il encore imposer au Cambodge, comme avant, toutes les grandes décisions selon ses intérêts ? La crise de Preah Vihear a pour conséquence une prise de conscience nationale. Il y a maintenant des patriotes dans tous les partis politiques. Dans Preah Vihear même et aux temples de Ta Moan Thom et Ta Moan Toch, les soldats thaïs font maintenant face à nos soldats qui ont combattu victorieusement à O Smach. La défense de ces trois localités a reçu le soutien total de l’ensemble des Cambodgiens. Toute concession de la part du pouvoir à Phnom Penh sera considérée comme une capitulation, voire une trahison. Le Cambodge a des atouts économiques suffisants pour contraindre la Thaïlande à ne pas utiliser les conflits avec le Cambodge pour régler ses disputes internes.

En ce qui concerne notre plateau continental, il est impératif de dénoncer le traité entre la Thaïlande et le Vietnam d’août 1997. Par ce traité signé un mois après le coup d’Etat du 5 juillet 1997, nos deux voisins partagent la moitié de nos eaux territoriales. Le problème du partage du plateau continental situé au large des côtes du Vietnam, du Cambodge et de la Thaïlande, doit être fait par une conférence internationale. Une solution sera basée sur les principes qui ont permis le partage d’une façon équitable le plateau continental de la Mer du Nord entre les pays européens limitrophes. Sinon, le monde serait toujours régit par la loi de la jungle et il n’y aura pas de paix possible.

Toute remise en cause des traités internationaux, déjà défavorables à nos intérêts nationaux fondamentaux, est une invitation à créer des conflits sans fin entre les pays limitrophes.

L’avenir du Cambodge dépend avant tous des Cambodgiens. Il faut donc renforcer notre solidarité nationale par la construction des routes, par l’utilisation de notre langue maternelle nationale dans les universités, en consommant avant tout les produits cambodgiens, en utilisant exclusivement les entreprises cambodgiennes.

La bataille pour Preah Vihear vient de révéler nos points faibles. Sommes-nous capables d’en prendre conscience et d’y remédier ? Errare humanum est, perseverare diabolicum (Se tromper est humain, persévérer dans l’erreur relève du diable) disent les Romains.

Les Allemands disent que l’avenir appartient à celui qui a la mémoire la plus longue. Avoir la mémoire longue c’est bien connaître l’histoire du monde et la nôtre placée dans ce contexte. Dans cette histoire il y a des moments de splendeurs et des moments de faiblesses. Pour bâtir l’avenir, il faut savoir tirer la leçon du passé, s’inspirer principalement de nos périodes de splendeurs, sans oublier nos périodes de faiblesses. Accuser le passé, chercher à savoir qui a tort, qui a raison dans le passé, c’est entrer dans l’avenir à reculons. C’est faire le jeu de nos ennemis. C’est accepter d’avance de vivre sous la domination étrangère.

« On confond souvent le sens historique avec le culte de la tradition ou le goût du passé. En vérité, pour l’individu comme pour les collectivités, l’avenir est la catégorie première. Le vieillard qui n’a plus que les souvenirs est aussi étranger à l’histoire que l’enfant absorbé dans un présent sans mémoire. Pour se connaître soi-même comme pour connaître l’évolution collective, l’acte décisif est celui qui transcende le réel, qui rend à ce qui n’est plus une sorte de réalité en lui donnant une suite et un but. »[1]

Khemara Jati
khemarajati@sympatico.ca

[1] Raymond Aron, dans « Introduction à la philosophie de l’histoire », Ed. Gallimard, 1er Ed. Paris 1938. Ed. citée 1986, page 432

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