2007-11-15

Qui est Chay Lo

Nouvelles du Cambodge

CHAY LO SAUVÉ DES EAUX

Photo Aurélia Frey pour « Le Monde »

La vie a donné plusieurs chances à ce fils de paysans cambodgiens. Il les a toutes saisies. Grâce à lui, l'eau cesse de tuer dans certains villages du Cambodge. Il vient de recevoir un prix international.

1976 : Naissance à Thropaing Tmor (nord du Cambodge).
1996 : Opéré d'urgence en France pour une tumeur au poumon.
1997 : Entre à l'Institut technologique du Cambodge à Phnom Penh.
2003 : Entre à l'Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts (Engref) à Paris.
2004 : Cofonde 1001 fontaines pour demain.
2007 : Lauréat du prix de la Junior Chamber International.

Drôle d'endroit pour une rencontre avec Chay Lo. Dans cette brasserie du quartier de la Madeleine à Paris, choisie pour les exigences de la photo, le plateau de fruits de mer coûte plus de deux mois d'un salaire moyen au Cambodge. Il en faut plus pour perturber le sourire rayonnant de ce Cambodgien d'origine pauvre qui a obtenu le diplôme d'ingénieur des Eaux et Forêts en France. Chay Lo, plusieurs fois miraculé, sourit toujours.

Le jeune homme discret accède à la lumière pour son parcours exceptionnel : cofondateur de l'association 1001 fontaines pour demain, qui développe de petites stations de purification d'eau dans les villages cambodgiens, il a reçu le prix de la Junior Chamber International (JCI), mardi 6 novembre, à Antalya, en Turquie. Il récompense chaque année « 10 jeunes parmi les plus remarquables de la planète ».

Sa vie, pourtant, aurait pu - aurait dû - se terminer brutalement il y a onze ans. A mille lieux de Phnom Penh, dans sa boutique de la rue Auguste-Comte à Lyon, Mine Dumas, antiquaire spécialisée dans les bois dorés du XVIIIe siècle, reçoit alors un coup de fil très urgent : « Trouve-moi vite un chirurgien pour sauver un garçon qui a le poumon écrasé par une tumeur. Il ne peut pas vivre et on ne peut pas l'opérer ici, je m'arrange pour le visa », lui dit sa nièce, Virginie Legrand, volontaire de l'association humanitaire Enfants du Mékong.

Quelques jours et mille tracasseries plus tard, Chay Lo est opéré au Centre cardiologique du Nord, à Saint-Denis. Le professeur Bernard Andreassian sort de ses poumons une tumeur - non cancéreuse - de 5 kilos. Les jours qu'il passe entre la vie et la mort paraissent interminables à ses bonnes fées. Elles organisent enfin sa convalescence en France, dans la famille du docteur Patricia Labourier, un médecin français qui a fondé l'association Aide aux enfants cambodgiens.
Cette douleur aux poumons, qui lui tenaillait les côtes et le dos, Chay Lo la supportait en silence depuis des années : dans cette famille de 5 enfants, les soins sont hors de portée. Sa mère élève des vers à soie et tisse des foulards, son père exploite 2 hectares de rizières. Pas de quoi nourrir tout le monde non plus, ni étudier. Lo a reçu de son père le même conseil que tous les enfants pauvres : « Si tu veux étudier, va à la pagode. » Hébergé par une femme bonze dans la pagode de Sisophon, il suit les cours avec facilité et réussit son bac.

Lors de son premier pied de nez à la mort, Chay Lo avait 12 ans : " Je gardais les vaches de mon père et elles ont traversé la rivière. Je les ai suivies. Je ne savais pas nager. " Un ami l'a sauvé au moment où il coulait à pic. " C'est ce qui explique sa peur panique de l'eau ", raconte sa marraine, Mine Dumas, qui l'a accompagné à des séances de natation, afin de rééduquer ses poumons...
Brillant, Chay Lo a été admis dans la plus grande école du pays, l'Institut technologique du Cambodge (ITC), où il s'est spécialisé dans la gestion de l'eau. Sorti deuxième, alors qu'une bourse d'Etat permet au seul premier de poursuivre des études à l'étranger, il est à nouveau repêché. Son réseau d'amis français l'aide à continuer son cursus à l'Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts (Engref) à Paris et à Montpellier. Sa ténacité, son imagination et d'autres hasards bienheureux ont fait le reste.

Chez son amie Virginie Legrand, il rencontre François Jaquenoud, un ancien associé d'Andersen Consulting. Tous trois évoquent l'eau boueuse des mares et des rivières cambodgiennes que les villageois sont réduits à boire. Leurs bactéries tuent des enfants par milliers. " Est-ce qu'il n'y a pas un moyen de purifier cette eau ? ", demande Chay Lo. Le père de Virginie, ingénieur, a inventé pour une famille allemande, qui produit du fromage de chèvre dans la Drôme, un système de filtration de l'eau de source par ultra-violets, alimenté par des panneaux solaires. Mais le dispositif, que le petit groupe part observer sur place, ne peut être utilisé tel quel. Son adaptation sera l'objet du mémoire de fin d'études de Chay Lo. " Ce qu'il a mis au point, c'est un vrai progrès dans le traitement de l'eau potable, avec des modules faciles à réaliser et à exploiter ", dit, admiratif, Gillian Cadic, enseignant à l'Engref à Montpellier. " Il a beaucoup de détermination dans ses projets, mais il est presque trop discret. Il nous demandait trois fois rien ", observe-t-il.

La France l'a pourtant changé, bousculant sa discrétion et sa réserve : " Au Cambodge, on ne parle pas beaucoup, et pas de soi-même. On a beaucoup de respect pour les gens importants et riches. Il faut beaucoup de courage pour taper à leur porte ", explique-t-il. Il se sent " plus à l'aise " depuis qu'il est venu en France. " Il s'est mis à parler depuis qu'il a fait les Eaux et Forêts. Il écrit des choses sur lui, maintenant. Mais il ne s'est jamais plaint de quoi que ce soit ", témoigne sa marraine, qui a assisté, émue, à son mariage l'an dernier au Cambodge. " Je suis extrêmement fière, car il a pris quelque chose chez nous, c'est de ne pas se laisser déstabiliser par les problèmes. Cela va à l'encontre d'un certain fatalisme qu'on trouve dans son pays ", conclut Virginie Legrand.

La douceur, elle, reste. " On ne dit pas les choses frontalement au Cambodge, il ne faut pas perdre la face. Dans les villages, Lo sait dire les choses à la khmère, en passant par une tierce personne par exemple. Il explique et réexplique patiemment... ", raconte Marie Yen, une ingénieure française, volontaire de 1001 fontaines pour demain, qui revient d'un séjour d'un an au Cambodge. Aujourd'hui, l'association a installé 11 stations, dont chacune fournit l'eau potable pour 1 000 à 1 500 personnes. Une famille devient opérateur de l'installation et les villageois achètent l'eau pure pour moins d'un cent de dollar le litre. Chay Lo, en prenant les rênes du projet au Cambodge, a refusé des propositions beaucoup plus alléchantes d'ONG mieux dotées, ou de grandes entreprises françaises. Il perçoit 500 dollars par mois. " Il pourrait faire fortune, mais il considère que, s'il est arrivé là, c'est qu'il a été aidé ", témoigne François Jaquenoud.
Depuis l'enfance, il est convaincu qu'il doit " aider les gens pauvres plutôt que de ne travailler qu'avec des riches. " Chay Lo demande : " Si tout le monde ne s'intéresse qu'aux grandes entreprises, qui va aider les gens dans les zones rurales ? " Une manière de rendre, avec le sourire, ce qui lui a été donné.

Adrien de Tricornot

Posté par Khemara Jati
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