Dans les coulisses du Tribunal pénal internationl...
Nouvelles du Cambodge
Dans les coulisses du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie de La Haye
Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 6 octobre 2007
Un de nos lecteurs en France nous envoie des articles concernant le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie de La Haye (TPIY). Nous pensons qu’ils peuvent intéresser nos compatriotes, confrontés à des situations de ce genre. Rappelons cependant que le TPIY ne dépend pas, financièrement, à 100% de l’ONU et des grandes puissances. Ce qui le rend d’une certaine mesure indépendante des pressions de l’ONU et des grandes puissances. Car c’est une des constances de l’histoire : jamais la force ne se met au service du droit. C’est toujours le contraire : le droit est toujours utilisé pour justifier la victoire de la force. C’est ce que tout étudiant apprend dans les facultés de droit. Tout tribunal est toujours au service de ceux qui le financent. Le dicton populaire ne dit-on pas « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ? C’est à nous, Cambodgiens, d’en tirer les conclusions, en ce qui concerne notre pays. Nous tenons à remercier notre lecteur en France qui nous fait connaître ces articles et aussi la direction de l’hebdomadaire Paris Match qui nous fait connaître ce livre très intéressant concernant les coulisses de cette institution, pourtant réputée « irréprochable et impartiale » !
« Florence Hartmann révèle tout sur les coulisses du Tribunal Pénal International de la Haye
Journaliste au journal « Le Monde » pendant dix ans, et notamment correspondant à Belgrade, l’auteur a suivi en première ligne les conflits en ex-Yougoslavie avant d’être expulsée de la capitale serbe en vingt-quatre heures par le pouvoir de Milosevic. Elle publie son premier livre en 1999, un portrait édifiant du président serbe, encore au pouvoir : « Milosevic, la diagonale du fou ». Carla Del Ponte la choisit en 2000 comme porte-parole avant d’en faire sa conseillère sur les Balkans. Hartmann quittera La Haye en octobre 2006, quelques mois après la mort de Milosevic. Dans les coulisses du T.P.I. et des institutions internationales, dans le sillage de la procureure, elle a franchi les portes closes de la haute diplomatie et assisté à d’innombrables conciliabules et bras de fer. Dès son retour à Paris elle commence l’écriture de « Paix et Châtiment ». « Durant six ans, j’ai assisté dans les coulisses, à de graves dysfonctionnements de la justice et de la politique internationales – à des blocages, des ratages, des menaces, des coups bas, dans le seul but de camoufler des vérités, qu’elles soient de lourds secrets d’Etat ou de simples intérêts particuliers. Or, la justice est au service des citoyens, et la justice internationale au service de l’humanité. Dans la sphère publique, le droit est inaliénable. J’ai dédié ce livre aux victimes de crimes de masse parce que c’est avant tout pour elles que la justice internationale existe.
« Paix et Châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales » de Florence Hartmann, ed. Flammarion, 320 p. 19,90 euros. » http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/2007/09/paix-et-chtimen.html ou http://blog.multipol.org/post/2007/09/07/OUVRAGE-:-Paix-et-chatiment-Les-Guerres-secretes-de-la-politique-et-de-la-justice-internationale
Paris Match du 19 – 26 septembre 2007
Le sabotage du tribunal pénal international. L’Europe et les Etats-Unis étaient prévenus des crimes.
« Le T.p.i. a été conçu comme un alibi, pas pour fonctionner et certainement pas pour juger le premier chef d’Etat inculpé de génocide ! Ce tribunal mort-né devait se contenter d’être une simple menace à brandir lors des négociations afin de « désamorcer toute velléité de répondre par la force militaire aux exactions en cours », écrit Florence Hartmann dans son livre « Paix et châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales ». Mais quand, grâce à la volonté de quelques-uns, le T.p.i. peut enfin mener des enquêtes, établir des inculpations et juger les accusés, il est perçu au Quai d’Orsay, alors investi par Hubert Védrine, comme « la plus mauvaise idée de ces dernières années ».
Certains membres du Conseil de sécurité (de l’ONU) veulent fermer le tribunal en 2010. Pourtant, les deux fugitifs les plus emblématiques, Radovan Karadzic et Ratko Mladic – responsables politiques et militaires des Serbes de Bosnie, hommes de main de Milosevic, coupables, entre autres atrocités du génocide de Srebrenica – n’y ont pas été jugés. Mais la procureure Carla Del Ponte tient bon. Résultat du bras de fer : le Conseil de sécurité lui impose d’importantes amputations budgétaires, des coupes franches dans la liste de suspects et dans les actes d’inculpation. Afin de ne pas juger pour génocide les criminels avec lesquels les grandes puissances ont si longtemps négocié, tous les moyens sont bons : noyautage du Tribunal, pressions, ingérences, recels de preuves, sabotage systématique du procès Milosevic, cavale organisée des fugitifs.
« Les Etats-Unis sont les premiers à empêcher le Tribunal de s’émanciper. Ils l’ont toujours voulu sous tutelle, placé sous l’autorité du Conseil de sécurité », décrit Florence Hartmann.
Pour connaître le déroulement des actions militaires de l’armée bosno-serbe, cédée à Karadzic et Mladic par Belgrade, le parquet dépend des experts du Military Analyst Team (le M.a.t.). Ses membres sont tous, sans exception, anglais et américains et ne cessent d’exonérer Milosevic de toute implication dans les massacres en Bosnie et surtout dans le génocide de Srebrenica.
Les Occidentaux cachent les preuves
« Les informations, recueillies tout au long du conflit par les grandes puissances, auraient permis au parquet du T.p.i. de confondre sans tarder les plus hauts responsables des atrocités qui se poursuivaient dans l’ex-Yougoslavie », constate Hartmann.
Mais le tribunal perdra souvent des années à réunir des documents nécessaires aux inculpations (verbatim, écoutes, images satellitaires, vidéos). En remettant au Tribunal les écoutes et autres éléments compromettants pour Belgrade qu’ils détiennent depuis le début de la guerre, les Occidentaux auraient admis être informés des crimes au moment où ils étaient commis, ainsi que leur organisation préalable. L’existence de ces preuves aux mains des Occidentaux aurait révélé leur choix de ne pas intervenir, pourtant contraire à leurs obligations internationales.
Des anecdotes viennent parfois étayer la démonstration implacable d’Hartmann. Ainsi, quand Del Ponte informe la communauté internationale qu’elle aura besoin de forces de l’Otan pour arrêter un accusé, « incrédule, un haut responsable du Département d’Etat américain s’exclame : « Comment pouvez-vous avoir recueilli assez de preuves pour l’inculper alors que nous ne vous avons rien donné ? » Et de préciser : « Bien sûr, nous n’avions rien ! ».
Florence Hartmann relate un échange violent à la Maison Blanche entre le vice-président Al Gore et le Suédois Carl Bildt, chargé par la Communauté européenne de négocier avec Milosevic. Nous sommes au début août 1995, un mois après le massacre de Srebrenica, Bildt affirme sans rougir que « Milosevic a été le principal allié serbe dans les efforts depuis deux ans » ! Al gore suffoqué lui prouve le contraire : il lui lit un extrait des transcriptions américaines des écoutes téléphoniques dans lequel Milosevic donne des ordres à Mladic pendant les opérations contre Srebrenica. Le parquet demandera en vain les minutes de cette réunion à la Maison Blanche. « Ni Al gore, ni Carl Bildt, ni Michel Steiner, le négociateur allemand, ni le Français Alain Dejammet, ni la Britannique Pauline Neville-Jones qui y participaient n’acceptent de témoigner devant le T.p.i., s’indigne Florence Hartmann.
Carla Ponte arrachera au gouvernement serbe des documents cruciaux : Karadzic et Mladic n’ont pas agi à Srebrenica sans l’aval de Milosevic. Résumé dans le livre, les verbatim non expurgés du Conseil suprême de la défense (C.s.d.) de Belgrade dénoncent la culpabilité de Milosevic dans le génocide de Srebrenica. Mais la chambre des juges a accepté la condition de Belgrade : ne jamais rendre ces preuves publiques.
« Les plus grandes démocraties ont préféré tromper pendant dix ans l’opinion publique afin de protéger ces deux criminels plutôt que de les arrêter, résume Florence Hartmann. Les puissances occidentales qui ont assisté sans bouger aux massacres de Srebrenica (…) pour ensuite offrir à Dayton les terres recouvertes de charniers aux bourreaux, auraient eu maintes occasions de signifier autrement que par des paroles leur repentir. Elles s’y sont pourtant refusées malgré la gravité de leur faute. »
En effet les grandes puissances ont toujours su où se trouvaient Karadzic et Mladic, et ont facilité leur protection. Depuis longtemps les deux fugitifs ont négocié avec les Occidentaux leur liberté et leur impunité. Au Q.g. de l’Otan, le 17 octobre 1996, le message transmis au procureur Louise Arbour est clair : « Comme point de départ, l’Otan s’est fixé pour politique de ne pas arrêter les criminels de guerre. » Pire : les grandes puissances ont exfiltré Radovan Karadzic de Bosnie en 1997 – violant ainsi toutes les lois internationales, Karadzic étant poursuivi par un mandat d’arrêt international.
Karadzic et Mladic ont négocié leur impunité
Jacques Chirac confiant à Carla Del Ponte, le 29 février 2000 : « Boris Eltsine m’a dit : Karadzic sait trop de choses sur Milosevic » (…) et il m’a averti qu’il enverrait un avion pour l’extraire de Bosnie si nécessaire, mais qu’il ne le laisserait jamais être arrêté. » Exfiltré dans un avion russe en Biélorussie, Karadzic a bientôt le mal du pays, et les grandes puissances facilitent son retour. Puis elles lui permettent de trouver l’argent nécessaire au financement de sa cavale. Des agents de renseignements occidentaux sont chargés de sa traque fictive. Parmi eux le général Philippe Rondot missionné par Jacques Chirac…mais sans ressources humaines suffisantes pour procéder à la moindre arrestation ! L’objectif inavoué de cette mission est son échec. Les mascarades d’arrestations avec de bruyants hélicoptères sont avant tout, destinées à prévenir le fugitif qu’il est temps de changer de maison ou de monastère. « N’imaginez pas qu’il sa cache sans un trou comme Saddam Hussein. Il circule librement, écrit, rencontre sa famille », rapporte souvent Carla Del Ponte, sans dévoiler qu’il a même le temps de recevoir des maîtresses.
Certaines anecdotes seraient cocasses si elles n’étaient pas aussi affligeantes. Ainsi, au printemps 2005, alors que « plus personne ne semble savoir où se trouve Karadzic » (dixit Del Ponte), « un Hollandais contacte le parquet de La Haye. Il assure avoir vu Karadzic, le 7 avril, à la terrasse d’un café en compagnie d’une femme, à Foca (dans l’entité serbe de Bosnie). Del Ponte demande à l’Otan de vérifier l’information. « Impossible, car Karadzic était du 6 au 8 avril 2005 à Belgrade », rétorquent, quelques jours plus tard, les responsables américains de l’Otan, qui affirmaient jusque-là, avoir perdu, eux aussi, toute trace de Karadzic ! ».
Mladic réside dans sept appartements !
Comme les gouvernements russes et occidentaux, le bureau de Del Ponte possède la liste précise des caches de Mladic. Hartmann : « Le centre de repos de Stragari, près de la petite ville de Toponyme (…), un autre centre de repos de l’armée, à Rajac, près de Valjevo, (…) Mladic est l’invité du général Zivanovic, son ami (…) qui possède une maison près de Gornji Milanovac (…) Lorsque Mladic se fait soigner, au printemps 2001 puis en 2002, à l’hôpital militaire de Belgrade (…) il passe par la porte principale. Il affiche au mariage de son fils Darko et assiste à des cérémonies au cercle militaire, au cœur de Belgrade. Il fréquente les restaurants de son quartier, assiste à des matchs de foot. Les Belgradois le croisent souvent. » Il arrive aussi qu’il habite, tout simplement « chez lui à Belgrade ». Florence Hartmann : « A partir de 2003, il navigue entre sept appartements loués par ses protecteurs, dans le centre de Belgrade, sous de faux noms dont il change toutes les deux ou trois semaines (…) Mladic n’a pratiquement jamais quitté la Serbie sauf pour de brefs séjours dans son pays natal de Bosnie orientale à l’occasion de fêtes familiales » où il ne fut jamais inquiété par les forces de l’Otan. Hartmann enfonce le clou : « Les occidentaux n’ont pas seulement empêché la capture du général [Mladic] (…) ils ont aussi neutralisé l’action du T.p.i. » La liste des occasions manquées de capture a été dressée par Patrick Lopez-Terres, le chef des enquêtes du T.p.i., mais n’a pas encore été rendue publique.
Sylvie Matton
Paris Match N° 3044 du 19 au 26 septembre 2007, pages 134-135-136.
Khemara Jati
Montréal, Québec
Dans les coulisses du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie de La Haye
Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 6 octobre 2007
Un de nos lecteurs en France nous envoie des articles concernant le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie de La Haye (TPIY). Nous pensons qu’ils peuvent intéresser nos compatriotes, confrontés à des situations de ce genre. Rappelons cependant que le TPIY ne dépend pas, financièrement, à 100% de l’ONU et des grandes puissances. Ce qui le rend d’une certaine mesure indépendante des pressions de l’ONU et des grandes puissances. Car c’est une des constances de l’histoire : jamais la force ne se met au service du droit. C’est toujours le contraire : le droit est toujours utilisé pour justifier la victoire de la force. C’est ce que tout étudiant apprend dans les facultés de droit. Tout tribunal est toujours au service de ceux qui le financent. Le dicton populaire ne dit-on pas « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ? C’est à nous, Cambodgiens, d’en tirer les conclusions, en ce qui concerne notre pays. Nous tenons à remercier notre lecteur en France qui nous fait connaître ces articles et aussi la direction de l’hebdomadaire Paris Match qui nous fait connaître ce livre très intéressant concernant les coulisses de cette institution, pourtant réputée « irréprochable et impartiale » !
« Florence Hartmann révèle tout sur les coulisses du Tribunal Pénal International de la Haye
Journaliste au journal « Le Monde » pendant dix ans, et notamment correspondant à Belgrade, l’auteur a suivi en première ligne les conflits en ex-Yougoslavie avant d’être expulsée de la capitale serbe en vingt-quatre heures par le pouvoir de Milosevic. Elle publie son premier livre en 1999, un portrait édifiant du président serbe, encore au pouvoir : « Milosevic, la diagonale du fou ». Carla Del Ponte la choisit en 2000 comme porte-parole avant d’en faire sa conseillère sur les Balkans. Hartmann quittera La Haye en octobre 2006, quelques mois après la mort de Milosevic. Dans les coulisses du T.P.I. et des institutions internationales, dans le sillage de la procureure, elle a franchi les portes closes de la haute diplomatie et assisté à d’innombrables conciliabules et bras de fer. Dès son retour à Paris elle commence l’écriture de « Paix et Châtiment ». « Durant six ans, j’ai assisté dans les coulisses, à de graves dysfonctionnements de la justice et de la politique internationales – à des blocages, des ratages, des menaces, des coups bas, dans le seul but de camoufler des vérités, qu’elles soient de lourds secrets d’Etat ou de simples intérêts particuliers. Or, la justice est au service des citoyens, et la justice internationale au service de l’humanité. Dans la sphère publique, le droit est inaliénable. J’ai dédié ce livre aux victimes de crimes de masse parce que c’est avant tout pour elles que la justice internationale existe.
« Paix et Châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales » de Florence Hartmann, ed. Flammarion, 320 p. 19,90 euros. » http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/2007/09/paix-et-chtimen.html ou http://blog.multipol.org/post/2007/09/07/OUVRAGE-:-Paix-et-chatiment-Les-Guerres-secretes-de-la-politique-et-de-la-justice-internationale
Paris Match du 19 – 26 septembre 2007
Le sabotage du tribunal pénal international. L’Europe et les Etats-Unis étaient prévenus des crimes.
« Le T.p.i. a été conçu comme un alibi, pas pour fonctionner et certainement pas pour juger le premier chef d’Etat inculpé de génocide ! Ce tribunal mort-né devait se contenter d’être une simple menace à brandir lors des négociations afin de « désamorcer toute velléité de répondre par la force militaire aux exactions en cours », écrit Florence Hartmann dans son livre « Paix et châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales ». Mais quand, grâce à la volonté de quelques-uns, le T.p.i. peut enfin mener des enquêtes, établir des inculpations et juger les accusés, il est perçu au Quai d’Orsay, alors investi par Hubert Védrine, comme « la plus mauvaise idée de ces dernières années ».
Certains membres du Conseil de sécurité (de l’ONU) veulent fermer le tribunal en 2010. Pourtant, les deux fugitifs les plus emblématiques, Radovan Karadzic et Ratko Mladic – responsables politiques et militaires des Serbes de Bosnie, hommes de main de Milosevic, coupables, entre autres atrocités du génocide de Srebrenica – n’y ont pas été jugés. Mais la procureure Carla Del Ponte tient bon. Résultat du bras de fer : le Conseil de sécurité lui impose d’importantes amputations budgétaires, des coupes franches dans la liste de suspects et dans les actes d’inculpation. Afin de ne pas juger pour génocide les criminels avec lesquels les grandes puissances ont si longtemps négocié, tous les moyens sont bons : noyautage du Tribunal, pressions, ingérences, recels de preuves, sabotage systématique du procès Milosevic, cavale organisée des fugitifs.
« Les Etats-Unis sont les premiers à empêcher le Tribunal de s’émanciper. Ils l’ont toujours voulu sous tutelle, placé sous l’autorité du Conseil de sécurité », décrit Florence Hartmann.
Pour connaître le déroulement des actions militaires de l’armée bosno-serbe, cédée à Karadzic et Mladic par Belgrade, le parquet dépend des experts du Military Analyst Team (le M.a.t.). Ses membres sont tous, sans exception, anglais et américains et ne cessent d’exonérer Milosevic de toute implication dans les massacres en Bosnie et surtout dans le génocide de Srebrenica.
Les Occidentaux cachent les preuves
« Les informations, recueillies tout au long du conflit par les grandes puissances, auraient permis au parquet du T.p.i. de confondre sans tarder les plus hauts responsables des atrocités qui se poursuivaient dans l’ex-Yougoslavie », constate Hartmann.
Mais le tribunal perdra souvent des années à réunir des documents nécessaires aux inculpations (verbatim, écoutes, images satellitaires, vidéos). En remettant au Tribunal les écoutes et autres éléments compromettants pour Belgrade qu’ils détiennent depuis le début de la guerre, les Occidentaux auraient admis être informés des crimes au moment où ils étaient commis, ainsi que leur organisation préalable. L’existence de ces preuves aux mains des Occidentaux aurait révélé leur choix de ne pas intervenir, pourtant contraire à leurs obligations internationales.
Des anecdotes viennent parfois étayer la démonstration implacable d’Hartmann. Ainsi, quand Del Ponte informe la communauté internationale qu’elle aura besoin de forces de l’Otan pour arrêter un accusé, « incrédule, un haut responsable du Département d’Etat américain s’exclame : « Comment pouvez-vous avoir recueilli assez de preuves pour l’inculper alors que nous ne vous avons rien donné ? » Et de préciser : « Bien sûr, nous n’avions rien ! ».
Florence Hartmann relate un échange violent à la Maison Blanche entre le vice-président Al Gore et le Suédois Carl Bildt, chargé par la Communauté européenne de négocier avec Milosevic. Nous sommes au début août 1995, un mois après le massacre de Srebrenica, Bildt affirme sans rougir que « Milosevic a été le principal allié serbe dans les efforts depuis deux ans » ! Al gore suffoqué lui prouve le contraire : il lui lit un extrait des transcriptions américaines des écoutes téléphoniques dans lequel Milosevic donne des ordres à Mladic pendant les opérations contre Srebrenica. Le parquet demandera en vain les minutes de cette réunion à la Maison Blanche. « Ni Al gore, ni Carl Bildt, ni Michel Steiner, le négociateur allemand, ni le Français Alain Dejammet, ni la Britannique Pauline Neville-Jones qui y participaient n’acceptent de témoigner devant le T.p.i., s’indigne Florence Hartmann.
Carla Ponte arrachera au gouvernement serbe des documents cruciaux : Karadzic et Mladic n’ont pas agi à Srebrenica sans l’aval de Milosevic. Résumé dans le livre, les verbatim non expurgés du Conseil suprême de la défense (C.s.d.) de Belgrade dénoncent la culpabilité de Milosevic dans le génocide de Srebrenica. Mais la chambre des juges a accepté la condition de Belgrade : ne jamais rendre ces preuves publiques.
« Les plus grandes démocraties ont préféré tromper pendant dix ans l’opinion publique afin de protéger ces deux criminels plutôt que de les arrêter, résume Florence Hartmann. Les puissances occidentales qui ont assisté sans bouger aux massacres de Srebrenica (…) pour ensuite offrir à Dayton les terres recouvertes de charniers aux bourreaux, auraient eu maintes occasions de signifier autrement que par des paroles leur repentir. Elles s’y sont pourtant refusées malgré la gravité de leur faute. »
En effet les grandes puissances ont toujours su où se trouvaient Karadzic et Mladic, et ont facilité leur protection. Depuis longtemps les deux fugitifs ont négocié avec les Occidentaux leur liberté et leur impunité. Au Q.g. de l’Otan, le 17 octobre 1996, le message transmis au procureur Louise Arbour est clair : « Comme point de départ, l’Otan s’est fixé pour politique de ne pas arrêter les criminels de guerre. » Pire : les grandes puissances ont exfiltré Radovan Karadzic de Bosnie en 1997 – violant ainsi toutes les lois internationales, Karadzic étant poursuivi par un mandat d’arrêt international.
Karadzic et Mladic ont négocié leur impunité
Jacques Chirac confiant à Carla Del Ponte, le 29 février 2000 : « Boris Eltsine m’a dit : Karadzic sait trop de choses sur Milosevic » (…) et il m’a averti qu’il enverrait un avion pour l’extraire de Bosnie si nécessaire, mais qu’il ne le laisserait jamais être arrêté. » Exfiltré dans un avion russe en Biélorussie, Karadzic a bientôt le mal du pays, et les grandes puissances facilitent son retour. Puis elles lui permettent de trouver l’argent nécessaire au financement de sa cavale. Des agents de renseignements occidentaux sont chargés de sa traque fictive. Parmi eux le général Philippe Rondot missionné par Jacques Chirac…mais sans ressources humaines suffisantes pour procéder à la moindre arrestation ! L’objectif inavoué de cette mission est son échec. Les mascarades d’arrestations avec de bruyants hélicoptères sont avant tout, destinées à prévenir le fugitif qu’il est temps de changer de maison ou de monastère. « N’imaginez pas qu’il sa cache sans un trou comme Saddam Hussein. Il circule librement, écrit, rencontre sa famille », rapporte souvent Carla Del Ponte, sans dévoiler qu’il a même le temps de recevoir des maîtresses.
Certaines anecdotes seraient cocasses si elles n’étaient pas aussi affligeantes. Ainsi, au printemps 2005, alors que « plus personne ne semble savoir où se trouve Karadzic » (dixit Del Ponte), « un Hollandais contacte le parquet de La Haye. Il assure avoir vu Karadzic, le 7 avril, à la terrasse d’un café en compagnie d’une femme, à Foca (dans l’entité serbe de Bosnie). Del Ponte demande à l’Otan de vérifier l’information. « Impossible, car Karadzic était du 6 au 8 avril 2005 à Belgrade », rétorquent, quelques jours plus tard, les responsables américains de l’Otan, qui affirmaient jusque-là, avoir perdu, eux aussi, toute trace de Karadzic ! ».
Mladic réside dans sept appartements !
Comme les gouvernements russes et occidentaux, le bureau de Del Ponte possède la liste précise des caches de Mladic. Hartmann : « Le centre de repos de Stragari, près de la petite ville de Toponyme (…), un autre centre de repos de l’armée, à Rajac, près de Valjevo, (…) Mladic est l’invité du général Zivanovic, son ami (…) qui possède une maison près de Gornji Milanovac (…) Lorsque Mladic se fait soigner, au printemps 2001 puis en 2002, à l’hôpital militaire de Belgrade (…) il passe par la porte principale. Il affiche au mariage de son fils Darko et assiste à des cérémonies au cercle militaire, au cœur de Belgrade. Il fréquente les restaurants de son quartier, assiste à des matchs de foot. Les Belgradois le croisent souvent. » Il arrive aussi qu’il habite, tout simplement « chez lui à Belgrade ». Florence Hartmann : « A partir de 2003, il navigue entre sept appartements loués par ses protecteurs, dans le centre de Belgrade, sous de faux noms dont il change toutes les deux ou trois semaines (…) Mladic n’a pratiquement jamais quitté la Serbie sauf pour de brefs séjours dans son pays natal de Bosnie orientale à l’occasion de fêtes familiales » où il ne fut jamais inquiété par les forces de l’Otan. Hartmann enfonce le clou : « Les occidentaux n’ont pas seulement empêché la capture du général [Mladic] (…) ils ont aussi neutralisé l’action du T.p.i. » La liste des occasions manquées de capture a été dressée par Patrick Lopez-Terres, le chef des enquêtes du T.p.i., mais n’a pas encore été rendue publique.
Sylvie Matton
Paris Match N° 3044 du 19 au 26 septembre 2007, pages 134-135-136.
Khemara Jati
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