2007-11-15

Cambodge, situation présente et son avenir

Nouvelles du Cambodge

CAMBODGE, SITUATION PRÉSENTE ET SON AVENIR

Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 4 novembre 2007

Depuis un certain temps, le fait le plus important est que l’ensemble des Cambodgiens, plus particulièrement à l’étranger, se rendent compte du danger mortel dû à l’invasion militaire, humaine et, économique des Vietnamiens. Le problème crucial pour l’avenir de notre pays réside dans la possibilité pour le Cambodge de devenir une province vietnamienne. Certains Cambodgiens prévoient même, que ce sera fait dans une dizaine d’années et peut-être avant.

Comme solution ? Certains cherchent à savoir ce que dit « Put Tom Neay », comme les Français pour Nostradamus, dans des temps difficiles. D’autres sont à la recherche d’un « Preah Bath Thormeuk », c’est-à-dire un « Surhomme » ou un extraterrestre pour sauver le Cambodge. Tout cela parce qu’ils ne croient plus aux promesses jamais tenues des grandes puissances. Et aussi parce qu’ils n’ont pas confiance dans les capacités de notre peuple à relever ce défi motel. Au Cambodge, nos compatriotes savent depuis dès janvier 1979, que l’objectif de Hanoi est de faire du Cambodge, un autre Kampuchea Krom. Ils se méfient des belles paroles de Hanoi, puis après la signature des Accords de Paris du 23 octobre 1991, des promesses jamais tenues des grandes puissances et de l’ONU.

Il faut se rappeler de l’enthousiasme des Cambodgiens à l’étranger, en particulier en France au moment de la signature de ces fameux Accords de Paris. Les Cambodgiens se disputaient les places pour assister au banquet offert par Sihanouk, Son Sann, Khieu Samphan et Hun Sen. Puis la mise en scène organisée par le Président français Mitterrand et exécutée par son ministre des Affaires Etrangères Roland Dumas lors du retour de Sihanouk à Phnom Penh dans les fourgons de Hun Sen. Il faut connaître la chronologie de ce qui se passe après ce retour que nous diffuserons une autre fois. Le peuple cambodgien savait parfaitement que le retrait des troupes vietnamiennes n’était qu’une farce acceptée par les grandes puissances. Phnom Penh était quadrillé par la police Dakon vietnamienne et les militaires vietnamiens déguisés en civil. La communauté internationale présente à Phnom Penh fermait les yeux et les oreilles. Pour montrer qu’ils ne sont pas dupes de cette mise en scène à grand spectacle, le peuple de Phnom Penh organise les grandes manifestations, commencées le 17 décembre 1991 contre le pouvoir mis en place par les Vietnamiens depuis 1979. Elles se terminent par le massacre du 23 décembre 1991, exécuté par la police vietnamienne qui tirait à bout portant sur la foule, sous les yeux des diplomates et médias occidentaux. De source cambodgienne, il y aurait des centaines de morts. Depuis aucune enquête n’a jamais été faite. Pourquoi ce massacre à cette date ? C’est pour que ces manifestations se terminent impérativement avant le 25 décembre, treizième anniversaire de l’entrée des troupes vietnamiennes au Cambodge.

A la suite de ce massacre, l’ONU fut obligée de nommer à la hâte, le 9 janvier 1992, le Japonais Yasushi Akashi pour former et diriger l’UNTAC. Le Japon était obligé de débourser 3 milliards de $US pour cette opération. Akashi appliquait les directives de Tokyo pour défendre les intérêts du Japon au Cambodge.

D’autres Cambodgiens à l’étranger, se demandent comment les Juifs ont-ils pu garder leurs identités culturelles depuis plus de deux mille ans, malgré les multiples pogroms et massacres ? Le dernier en date vient de se passer durant la dernière et deuxième Guerre Mondiale. Pour comprendre comment le peuple juif est si résilient aux terribles épreuves subies, il faudrait lire le livre de Simone Veil ; « Ma Vie », Ed. Stock, qui vient de sortir en France. La lecture de ce livre permet de comparer le caractère industriel des massacres dans camp de concentration d’Auschwitz, en Pologne, avec le caractère moyenâgeux de Tuol Sleng, au Cambodge. L’Allemagne hitlérienne est une société hautement industrielle. Le Cambodge des Khmer Rouge est une société de paysans illettrés. Auschwitz et Tuol Sleng illustrent parfaitement ces deux types de sociétés. L’Allemagne est maintenant la troisième puissance économique du monde, le Cambodge parmi les plus pauvres. Allemagne : 0 % d’illettrés, Cambodge 50 % d’illettrés et 0 % d’industrie utilisant la matière grise cambodgienne. Nous souhaitons que nos compatriotes qui ont des possibilités, aillent visiter Auschwitz et lisent le livre de Simone Veil..

Certains Cambodgiens se demandent : « Pourquoi les Juifs sont-ils si résilients ? ». Pour répondre à cette question :

1 / Il faut savoir qu’il n’y a pas un seul Juif illettré dans le monde. Tout jeune Juif de 15 ans doit savoir commenter, à la Synagogue, devant des rabbins, la Torah, le texte sacré des Juifs, écrit en hébreu. Cela oblige aussi les femmes et les filles juives de connaître aussi l’hébreu pour pouvoir l’instruire aux garçons. Maintenant dans certaines communautés juives, les filles de 15 ans aussi, doivent pouvoir le faire comme les garçons de même âge. C’est ce qui explique que de tout temps, il y a des érudits et savants Juifs, comme Newton et Einstein parmi les plus connus. De nos jours il y a aussi de nombreux Juifs parmi les meilleurs savants, les artistes, musiciens et autres intellectuels du monde. Il n’y a pas d’ouvrier juif dans les usines, comme ont pu le constater les ouvriers cambodgiens. Nous recommandons la lecture du livre « 1492 » de Jacques Attali, maintenant en format poche. Ce livre est aussi l’histoire résumée de la monté en puissance de l’Europe à partir de l’invention de l’imprimerie en 1450. Attali résume cette histoire au début de son livre :


"L'Europe est ce géant : enchaînée par de multiples maîtres quand se défait
l'Empire romain d'Occident, elle sommeille durant presqu'un millénaire. Puis à
un moment de hasard et de nécessité, elle écarte ceux qui l'entourent et se
lance à la conquête de l'univers, massacrant les peuples de rencontre,
s'appropriant leurs richesses, leur volant leurs noms, leur passé, leur
histoire."
Jaques Attali
"1492", Ed. Fayard, Paris 1991, page 9.


Peut-on écrire l’histoire du Cambodge, sans tenir compte des interventions des Européens en Asie du Sud-Est et en Asie de l’Est à partir de l’arrivée des Portugais à Malacca en 1511 ? De nous jours peut-on comprendre ce qui se passe au Cambodge sans tenir compte des conflits des intérêts géostratégiques des grandes puissances ?

2 / Après la défaite de Hitler, les Juifs survivants ont récupéré leurs biens immobiliers et presque tous les biens mobiliers. Ils sont honorés et aidés par les pays d’où ils sont originaires. Les jeunes ont pu commencer ou reprendre leurs études avec des bourses quand ils quand ils n’ont plus de familles. Certains ont même obtenu des Prix Nobel.

3 / Les Juifs sont très solidaires entre eux. Beaucoup aux Etats-Unis sont très riches et viennent en aide à leurs familles en Europe et aussi à des sociétés d’aides. De nos jours les Juifs dans le monde envoient des milliards de $US au gouvernement d’Israël. Un Juif n’attaque qu’exceptionnellement un autre Juif en politique.

4 / Les Juifs sont très attachés à leur histoire. De nos jours de nombreux Juifs font des recherches pour essayer de confirmer ou infirmer certains passages de leur histoire écrite, par des preuves archéologiques. Ces recherches sont souvent financées par l’Etat d’Israël et des riches Juifs.

5 / Les Juifs ont un très grand respect pour leurs morts. Par exemple, en 1492, ils sont chassés d’Espagne dans des conditions jugées inhumaines de nos jours, lire le livre de J. Attali « 1492 ». Ils ont tout abandonné, en particulier leurs biens immobiliers. Mais avant de partir, ils ont demandé que les autorités espagnoles préservent et entretiennent leurs cimetières. Durant la Deuxième Guerre Mondiale, le pouvoir espagnol de Franco n’avait pas participé à l’extermination de Juifs en Europe. D’autre part, depuis quatre siècles, les villes espagnoles d’étendent et les cimetières juifs se trouvent au milieu du XXè siècle presque au centre des villes. En signe de reconnaissance, les Juifs ont accepté que leurs cimetières soient déplacés. Ainsi les autorités espagnoles ont tenu leur parole pendant quatre siècles. Les Juifs n’ont jamais accepté que des ossements juifs soient exposés à des touristes.

Nous souhaitons que nos compatriotes étudient et méditent l’histoire des Juifs pour essayer de trouver des moyens pour nous unir pour lutter contre la domination vietnamienne.

Toutes les expériences du monde, montrent que l’histoire et la culture sont les bases fondamentales de l’unité d’une nation. Leur pérennité réside dans leur support écrit. Toute culture basée sur l’oral est condamnée à disparaître. L’expérience en Afrique, où les peuples sont obligés d’apprendre une autre langue que celle de leurs ancêtres, n’est-elle pas là pour l’illustrer ? En Amérique latine, certains pays sont en train de remettre à l’honneur les langues de leurs ancêtres. Ils inventent ou adaptent des mots nouveaux pour pouvoir les enseigner dans des universités. C’est la seule solution pour pouvoir alphabétiser rapidement l’ensemble du peuple et lui faire connaître les connaissances du monde contemporain. C’est la seule solution pour permettre aux paysans et aux intellectuels de parler et d’écrire dans la même langue. Il important que le langage abstrait des sciences, des techniques, de la philosophie etc., devienne courant en ville comme à la campagne. Pourquoi ne pas chercher à comprendre la France qui se bat avec tellement de force pour la francophonie ? Car la défense de la langue française passe par la diffusion du savoir et des livres en français. Le Cambodge est le seul pays de notre région à négliger sa langue nationale. Pourquoi ? Les Cambodgiens à l’Est du pays, sont en train d’apprendre la langue vietnamienne et à l’Ouest la langue thaie. Les langues de nos voisins sont plus riches en vocabulaire que la nôtre. Ainsi l’invasion de nos voisins, ne commence-elle par l’invasion linguistique. Sommes-nous capables de le comprendre à temps ?

Un certain nombre de nos compatriotes, surtout à l’étranger, cherchent des échappatoires pour trouver des moyens pour lutter contre la domination vietnamienne, mais refuse de faire le moindre effort pour aider nos compatriotes au Cambodge à développer notre langue et à l’utiliser dans toutes les universités, comme dans tous les autres pays de notre région. L’enseignement des universités en langue nationale est le seul moyen pour former rapidement un grand nombre de scientifiques, de techniciens de tous les niveaux, des archéologues, des philosophes, des historiens etc. Et en même temps élever le niveau des connaissances au sein du peuple par des livres de vulgarisations en tout genre, y compris des livres sur la religion bouddhique.

Nous rediffusons ci-dessous un long extrait de la Conférence faite par Louis Malleret en 1946, diffusé une première fois le jeudi 23 février 2006, car reste toujours d’actualité de nos jours, et aussi maintenant au Cambodge même :

La vietnamisation de la Cochinchine durant la période coloniale et le Cambodge de nos jours

Extrait de la Conférence de L. Malleret sur "La minorité cambodgienne de Cochinchine" dans Bulletin de la Société des Etudes Indochinoises, tome XXI 1er semestre 1946.

"Que de fois, il m'est arrivé, parcourant à pied, à cheval, en charrette ou en sampan, les provinces de la Cochinchine, d'accepter la franche hospitalité des pagodes cambodgiennes. L'on s'empressait de m'apporter quelques noix de coco, pour étancher ma soif, tandis que j'offrais en retour des bâtonnets d'encens ou un paquet de thé. Dans la maison de repos des hôtes, on étendait une natte et, quand l'air est pur et léger, je ne connais pas d'impression plus sereine que celle de s'étendre sur les claies de bambou de ces maisons sur pilotis, tandis que les bonzes en robe de safran passent silencieusement dans les cours et qu'un vent espiègle murmure, dans les hautes touffes des cocotiers.

"Mais souvent, j'arrivais à une heure où l'école de la pagode bruissait du murmure des jeunes enfants et cela me conduit tout naturellement, à évoquer ici, le problème de l'enseignement qui se pose sous un aspect grave, pour la minorité cambodgienne de Cochinchine. Celle-ci forme un ensemble homogène, par sa langue, sa religion, ses coutumes, ses traditions. Attachée à sauvegarder ses usages, elle répugne à envoyer ses enfants à l'école franco-annamite et ne dispose que très rarement, d'écoles franco-khmères.

"On a essayé jusqu'ici, de résoudre la difficulté en favorisant le développement de l'enseignement traditionnel, dans les écoles de pagodes. Celles-ci sont de trois types. Les unes sont indépendantes et, de ce fait, échappent entièrement à notre contrôle. On en comptait 95 en 1944, réunissant 1 038 élèves. D'autres sont subventionnées. Il y en avait 20, au début de 1945, avec 571 élèves. Enfin, depuis quinze ans, l'on s'est attaché à multiplier le nombre des écoles de pagode dites "rénovées", où l'enseignement est donné par des bonzes, qui ont suivi un stage de perfectionnement, à Phnom Penh, à Tra-vinh ou à Soc-trang et que l'on s'efforce de conseiller, autant que le permet le droit de regard que l'on peut s'attribuer, sur des établissements de caractère presque exclusivement religieux. Le nombre des écoles de ce type a passé de 37, en 1930, à 90 en 1936, et à 209 en 1944, parmi lesquels on comptait 1093 filles, jusqu'ici traditionnellement écartées du bénéfice de l'instruction. Dans lev même temps, le nombre des écoles officielles franco-khmères n'a pas dépassé le nombre de 19, avec 30 maîtres seulement.

"Il y a là un problème qui doit retenir l'attention. Quel que soit le soin que l'on ait apporté à la formation des bonzes-instituteurs, la création des écoles de pagode, fussent-elles "rénovées", n'est qu'un moyen de fortune, qui ne saurait remplacer un enseignement de type normal à deux cycles, l'un élémentaire, où le véhicule de l'enseignement peut demeurer le cambodgien, l'autre complémentaire avec initiation à la connaissance du français. Mais l'on se heurte à la question difficile du recrutement des instituteurs et tous les efforts entrepris, pour la pénétration scolaire, dans les pays cambodgiens, sont paralysés par cette insuffisance numérique et qualitative du personnel. J'avancerai donc encore ici, un vœu en faveur des Cambodgiens de Cochinchine. C'est que le nombre des écoles élémentaires et complémentaires franco-khmères soit rapidement accru, de façon à former des sujets pourvus de certificat d'études, aptes, les uns à devenir instituteurs auxiliaires, les autres à fournir un premier contingent d'élèves-maîtres, dans les Ecoles Normales, auxquelles il faudra bien revenir, si l'on entend rompre décidément avec la politique d'enseignement primaire au rabais, qui a été suivie en Indochine, depuis la crise économique de 1929-1933.

"Ce problème ne touche pas seulement, à l'obligation d'accorder à l'enfant cambodgien de Cochinchine, le niveau d'instruction primaire auquel il a droit. Il englobe, aussi, la grave question du recrutement d'une élite. Dans la minorité khmère du Bas-Mékong, comme du reste dans l'ensemble du Cambodge, le fait qui saisit l'observateur, c'est que cette société est privée, en dehors du clergé, d'une classe véritablement dirigeante. Dans le vieux royaume khmer, ce sont souvent des Annamites qui fournissent le contingent des fonctionnaires de l'administration (1) ou qui occupent les professions libérales, et cette situation, dont les Cambodgiens sont les premiers à d'alarmer, sans beaucoup réagir, semble avoir des origines très lointaines. Il est remarquable, en effet, que la décadence de ce pays ait coïncidé avec l'époque où se produisaient dans l'Inde, les invasions musulmanes. A partir du moment où le Cambodge fut privé de l'encadrement que lui apportaient, semble-t-il, des brahmanes, sa déchéance commença (2). Il y a quelques raisons de penser que des causes ayant tari le recrutement d'une élite, produisirent les mêmes effets, dans l'ancien Fou-nan, et l'on a vu les Siamois s'opposer plus récemment, au relèvement de la nation cambodgienne, en massacrant lors de leurs incursions, les classes dirigeantes ou en les emmenant en captivité.

"Quoi qu'il en soit, l'œuvre urgente, l'œuvre nécessaire, c'est d'accorder à la minorité cambodgienne de Cochinchine, les moyens de sauvegarder sa personnalité, en créant pour elle, des écoles, et surtout en rompant avec l'habitude de la portion congrue, qui consistait à donner à des instituteurs cambodgiens communaux, des salaires dérisoires, comme c'était le cas en Cochinchine, en 1943, où les maîtres recrutés à grand peine, recevaient pour le prix de leur activité professionnelle, toutes indemnités comprises, vingt et une piastre par mois (3).

"Le problème de la pénétration scolaire, dans cette minorité, n'est pas le seul qui soit digne de requérir notre bonne volonté, mais il est d'une importance capitale, car tous les autres dérivent de l'ignorance où le paysan khmer se trouve de ses droits. Très attaché à sa terre, il n'est pas armé, pour défendre son patrimoine, et devient souvent la victime d'incroyables spoliations. Ses bonzes qui sont ses tuteurs naturels et qui l'ont maintenu dans la voie d'une magnifique élévation morale, demeurent étroitement attachés à la tradition et sans lumières sur les obligations et les rigueurs de l'existence moderne. Les "achars", vieillards respectés que l'on consulte dans des occasions difficiles, ne sont, eux non plus, que de fort braves gens attachés à la coutume non écrite, et dénués de ressources, devant les impitoyables nécessités d'une organisation sociale, où la bonne foi des faibles est exposée à de rudes assauts.

"Le contact de deux populations, l'une active et entreprenante, l'autre apathique et traditionaliste, produit quotidiennement des abus, que notre pays ne saurait couvrir de son indifférence, et qui relèvent, semble-t-il, au premier chef, de la mission d'arbitrage fédéral qui lui est dévolue en Indochine. Je connais une agglomération de la province de Long-xuyen, où la fusion du village cambodgien avec un village annamite, mesure décidée sans précaution, par l'autorité administrative, a eu pour résultat de déposséder entièrement, le premier (village cambodgien) de ses terres communales, au profit du second (village annamite) qui était pauvre, en sorte que l'école de celui-ci (village annamite) est devenue florissante, tandis que l'école de celui-là (village cambodgien) végète désormais, faute de ressources (4). Je citerai aussi, un hameau cambodgien de la province de Rach-gia, établi loin des routes et des canaux, dont les habitants connurent un jour, par moi, avec stupeur, qu'ils n'étaient plus propriétaires de leurs terrains d'habitation, ceux-ci ayant été incorporés au Domaine public, parce que n'ayant aucun titre régulier ou n'ayant pas été informés du sens des opérations de bornage, ils ne s'étaient pas présentés devant les commissions cadastrales (5).

"Faut-il s'étonner si, devant ce qu'ils considèrent comme des mesures arbitraires, les Cambodgiens abandonnent, parfois en masse, certains villages, pour fuir l'injustice et la spoliation. Des créanciers annamites ou chinois font signer à des paysans khmers illettrés, des actes léonins qui aboutissent, à brève échéance, à la dépossession totale du débiteur. Le mal était devenu si manifeste, et l'usure si coutumière de semblables expropriations, que l'administration française dut s'en alarmer. En 1937, le visa de l'enregistrement fut déclaré obligatoire pour les billets de dettes, avec signature conjointe du débiteur et du créancier. A Tra-vinh, il apparut même nécessaire, d'exiger leur présence, lors de l'inscription des hypothèques sur les registres fonciers.

"Il serait souhaitable, à un autre égard, que fussent élargies ou renforcées, certaines mesures prises à la veille de la guerre, par l'autorité française notamment celles qui prescrivaient que, dans les villages mixtes, l'élément khmer fût représenté par un nombre de notables, proportionnel à son importance, ou encore, celle qui instituait un officier auxiliaire d'état-civil, dans les villages en majorité cambodgiens. Mais ces mesures ne pourraient devenir pleinement efficaces, que si les notables ainsi désignés, prenaient rang, sous certaines conditions et selon l'importance numérique de la minorité, parmi les plus considérables des membres du conseil communal.

"Il est important aussi, que l'élément cambodgien ait la place qui lui revient dans le corps des élus, à quelque échelon qu'ils soient institués. On avait proposé, il y a une vingtaine d'années, que les cantons autonomes, relevant directement de l'autorité supérieure, fussent organisés, là où la minorité se présente en formations suffisamment compactes pour justifier cette mesure. Mais on peut concevoir aussi, que la désignation de chefs de cantons khmers soit déclarée obligatoire, dans les régions où le groupe ethnique est prépondérant, avec des sous-chefs de cantons, là où il ne détient pas la majorité. De toute manière, il est nécessaire que les Cambodgiens relèvent de fonctionnaires ou de conseillers parlant leur langue et que, dans les concours administratifs, un certain nombre de places soient réservées aux candidats aux fonctions publiques, avec à titre provisoire, des conditions spéciales. Il paraît indispensable que la langue cambodgienne soit officiellement admise, dans la rédaction des requêtes ou de la correspondance administrative. Enfin, on ne peut que souhaiter le développement du bureau des affaires cambodgiennes, qui avait été créé à la veille de la guerre, auprès du cabinet du Gouverneur.

"Les Cambodgiens sont appelés à prendre une certaine importance numérique en Cochinchine. Loin d'être en recul, leur nombre s'accroît à chaque recensement. En 1888, ils étaient 150 000 sur 1 600 000 habitants. En 1925, ils étaient devenus 300 000. A la veille de la guerre, on en comptait environ 350 000, sur une population globale de moins de 5 millions d'habitants. Leurs relations avec les Chinois sont excellentes, et l'on compte de nombreux métis sino-cambodgiens qui, fait remarquable, adoptent volontiers les coutumes de la mère, ce qui est rarement le cas pour les métis sino-annamites. Les Khmers de Cochinchine entretiennent généralement avec les Annamites des relations dénuées de sympathie. Ceux-ci les appellent avec condescendance, des "Tho", c'est-à-dire les "hommes de la terre", mais ils rendent mépris pour mépris, en traitant les autres de "Yun", du sanscrit "Yuvana", c'est-à-dire de "Barbare du Nord" (6). Il est certain que ces inimitiés, fondées sur des incompatibilités de mœurs, de langue, de religion et aussi, sur toute l'amertume d'anciennes dépossessions, ont pour effet d'entretenir un état de friction latente, préjudiciable à la paix sociale, et qui réclame le contrôle d'un arbitre.

"A cet égard, la Cochinchine apparaît par excellence, comme une terre fédérale, où la France pitoyable aux faibles et généreuse envers des sujets loyaux, doit faire prévaloir des solutions de justice et rétablir l'équilibre que tend à détruire dans le monde, la triviale sélection des plus forts. Il lui appartient d'attribuer à la minorité cambodgienne du Bas-Mékong, un statut politique qui n'a jamais encore été clairement défini, à sauvegarder ses droits par des mesures administratives, à maintenir son originalité culturelle, à protéger surtout sa fortune immobilière, patrimoine qui s'amenuise un peu tous les jours, par l'effet d'incroyables abus. J'ajoute que notre pays ne saurait se désintéresser non plus, de la condition morale de ces populations. La minorité cambodgienne de Cochinchine s'est traditionnellement appuyée sur le Bouddhisme du Sud, tandis que l'Annam adoptait le Bouddhisme du Nord. Il reste à la France, vieille nation chrétienne et libérale, devenue par l'Afrique, une métropole musulmane, à devenir pour l'Asie du Sud-Est, une métropole bouddhique. Ce n'est plus un secret, que le Japon avait tenté d'organiser à son profit, les sectes du Bouddhisme en Indochine, et que le Siam poursuivait depuis longtemps au Cambodge, les mêmes fins, pour des raisons d'expansion territoriale. Les bonzes cambodgiens de Cochinchine se trouvent placés dans le rayonnement de l'Institut bouddhique de Phnom Penh, ayant aussi des attaches au Laos, institut de caractère fédéral, dont le développement est souhaitable et l'importance ne saurait être sous-estimée."

Notes de Khemara Jati

(1) Il s'agit de l'administration coloniale au Cambodge.
(2) Malleret, malheureusement, se réfère aux thèses de Coedes. Thèse réfutée par B.-P. Groslier.
(3) Nous aurions souhaité que Malleret nous donne aussi le salaire des maîtres annamites.
(4) Il faut souligner que l'administration française de Cochinchine était entre les mains des Annamites. La décision de fusion des deux villages était donc destinée à aboutir au résultat constaté par Malleret. Le texte de Malleret est de 1946. Combien de telles décisions ont été prises depuis le début de la colonisation, depuis 1860 ? Il n'y a encore aucune recherche pour savoir si les Cambodgiens étaient minoritaires en Cochinchine au moment de l'arrivée des Français. Peut-on faire totalement confiance aux recensements faits par les autorités coloniales entièrement aux mains des Annamites ? D'autre part les frontières de la Cochinchine avançaient vers l'Ouest aux dépends du Cambodge. Nous avons des témoignages qui disent qu'il y avait peu d'Annamites à Saigon et pas un seul dans l'île de Koh Tral au début du XXè siècle. Mak Phœun dans son article "La frontière entre le Cambodge et le Vietnam du XVIIè siècle à l'instauration du protectorat français, présentée à travers les chroniques royales khmères", dans "Les Frontières du Vietnam", sous la direction de P. B. Lafont, Ed. L'Harmattan, Paris 1989, pages 136 à 155.
(5) Les agents non français des opérations de bornage et des commissions cadastrales et autres services techniques, étaient à 100% annamites, en Cochinchine comme au Cambodge.
(6) Malleret ne donne malheureusement pas la référence de son affirmation. Il n'y a à ce jour aucune recherche historique sérieuse sur les origines des mots Youn et Cochinchine par exemple. Pourtant Youn vient de Yué ou Viet. Vietnam = Yué du Sud (nan = sud en chinois). Les Chinois nomment toujours leur voisin du Sud : Youan-nan. Le terme "Cochinchina" est apparu la première fois sur la carte de la péninsule indochinoise dressée par un Portugais anonyme vers 1580 ; aussi sur la carte des "Indes Orientales" d'après la carte Mercator (1613), ces deux cartes se trouvent dans "L'Indochine" en 2 volumes de Georges Maspéro, Ed. G. Van Oest, 1929 ; aussi dans la carte de la Chine, dans l'Atlas de Mercator publié par Jocondus Hondius, Amsterdam, 1606, The Stapleton Collection. Sur ces trois cartes Cochinchina se trouve en Chine du Sud, au Nord du Champa et de Camboia.

Conclusion

De nos jours au Cambodge, le Vietnam n’est-il pas en train de vietnamiser le Cambodge en faisant tout pour entraver le développement de la langue cambodgienne par tous les moyens et avec le soutient intéressé des grandes puissances ? La Chine ne pense qu’à développer l’enseignement en langue chinoise, les Etats-Unis et autres ne pensent qu’à développer l’enseignement en langue anglaise, la France ne pense qu’à développer l’enseignement en langue française, le Japon ne pense qu’à développer l’enseignement en langue japonaise.

Or le Cambodge a besoin de former le plus rapidement possible des milliers, voire des dizaines de milliers d’ingénieurs de haut niveau, des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers techniciens bien formés de tout niveau. Il faut donc pouvoir les sélectionner le plus largement possible. Il faut donc prendre un soin particulier à l’enseignement en langue nationale des classes primaires aux universités de haut niveau tout en favorisant l’apprentissage d’une langue étrangère comme deuxième langue. C’est ce qui se passe dans tous les pays développés du monde et aussi chez nos voisins de l’Est comme de l’Ouest.

On parle de la création des Zones Economiques Spéciales (ZES). Il est curieux de constater que ces ZES sont concédées à des sociétés privées ou étrangères. D’autre part pourquoi certains de ces ZES se trouvent curieusement à nos frontières ? Ces ZES auront besoin d’un grand nombre d’ingénieurs de haut niveau, de gestionnaires de haut niveau, des techniciens de tous les niveaux. Les responsables de ces ZES, ne vont-ils pas prendre prétexte de manque de personnel cambodgien qualifié pour recruter du personnel vietnamien à l’Est et du personnel Thai à l’Ouest ? Déjà les Cambodgiens à l’Est apprennent le vietnamien et le thai à l’Ouest ? Le Cambodge n’est-il pas en train de devenir une autre Cochinchine ? Le Vietnam utilisant la même stratégie que la France de la période coloniale pour vietnamiser la Cochinchine ?

Les chefs d’Etats des grandes puissances ne sont-ils pas des grands commis voyageurs pour vendre les produits de leur pays ? Les grandes puissances ne consacrent-elles pas des sommes énormes pour développer la recherche et les industries de pointe ? La politique ne consiste pas à faire seulement de la politique. La pérennité d’une nation réside dans le développement de sa culture écrite enrichie continuellement avec des échanges avec les autres cultures et aussi par le développement de son économie qui ne peut être gérée par ses propres citoyens. En bref, un peuple instruit est la base de la pérennité d’une nation. Un peuple instruit quand 10 % de la population sont de niveau universitaire et 50% de la population adulte achètent au moins un livre par ans. Quand sera le cas au Cambodge ?

Sommes nous aveugles à ce point aux expériences au Kampuchea Krom, en Thailande et maintenant au Cambodge même ? Sommes nous capables d’allumer une petite bougie au lieu de passer notre temps à nous lamenter, à accuser le passé et à maudire l’obscurité de notre avenir ?


Le dimanche 4 novembre 2007

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