2007-11-15

La paix, à quel prix

Nouvelles du Cambodge

LA PAIX, A QUEL PRIX

Traduction de l'article de Simon Taylor
publié le 22 octobre 2007 par The Guardian

Le 23 octobre est l'anniversaire de la signature des Accords de Paris de 1997 -- accords qui ont mis fin à des décennies de conflit armé au Cambodge et ont marqué le début de l'opération de maintien de la paix la plus coûteuse dans l'histoire. Pourtant, 16 ans plus tard, ce pays autrefois considéré comme un modèle de reconstruction post-conflit, est en train de devenir la dernière kleptocratie de l'Asie du Sud-Est; sa réputation est ternie par des allégations de corruption massive, d'impunité, de violations des droits de l'homme par un gouvernement répressif et anti-démocratique. La communauté internationale -- qui a financièrement soutenu la réhabilitation de cet Etat délabré --, a singulièrement échoué à arrêter le pourrissement. On devrait en tirer les leçons si on veut éviter un désastre similaire pour d'autres Etats fragiles émergeant d'un conflit.

En théorie, les ressources naturelles et le patrimoine national -- la terre, les forêts, les ressources minières et les sites archéologiques -- devaient servir de base pour redémarrer l'économie d'après-guerre. Les revenus provenant de leur exploitation devaient alléger la pauvreté et financer la reconstruction des infrastructures. Au contraire, une corruption systématique et institutionnalisée a privé la population entière des bienfaits qui ont découlé de ces biens publics.

Un rapide coup d'œil sur les secteurs économiques du Cambodge d'aujourd'hui montre que les forêts, la terre, les ports, les immeubles publics et les casinos sont en majorité sous le contrôle d'une poignée d'hommes d'affaires proches du gouvernement ou de membres de la famille de personnalités politiques haut placées. Les informations relatives à ces contrats ne sont pas connues de la population cambodgienne à qui les ressources nationales appartiennent. De même, les populations locales qui dépendent pour leur subsistance des forêts ou des terres, ne sont presque jamais consultées. La plupart des Cambodgiens ne se rendent compte de l'existence de ces contrats, que lorsqu'ils entendent le bruit de la scie électrique ou du bulldozer venu pour raser leurs récoltes.

Le cas des forêts en est une bonne illustration. Dans les années 1990, elles étaient décrites par la Banque Mondiale comme « la ressource la plus importante » du pays pour son développement. Aujourd'hui, elles se sont largement rétrécies, car elles ont été vendues au fil des ans, par l'élite politique du pays à des entreprises privées ou à des particuliers pressés de couper le bois pour un rapide profit. Le plus gros de l'énorme richesse générée par cette déforestation n'est pas allé dans les coffres de l'Etat, mais il semble qu'elle ait été siphonnée en direction des comptes bancaires privés des coupeurs de bois et de leurs protecteurs politiques.

Malgré une expansion des industries textile et touristique qui s'est traduite par une croissance économique à deux chiffres ces dernières années, la réalité demeure que les Cambodgiens sont parmi les plus pauvres du monde et que les inégalités augmentent. Avec environ 35% de la population vivant en dessous du seuil de la pauvreté, et la vaste majorité sans électricité ni eau courante, survivre devient un combat de tous les jours pour des millions de personnes. En même temps, les expropriations forcées et les confiscations de terres ordonnées par le gouvernement sont légion, les violations des droits de l'homme banales, la corruption endémique et l'impunité la norme. Au cours des cinq dernières années, cette situation s'est doublée d'un rétrécissement de l'espace de liberté de la société civile et de l'opposition politique, ce qui donne un système de gouvernance que le Rapporteur des Nations Unies pour les Droits de l'Homme qualifie de « fragile façade de démocratie ».

Depuis maintenant une dizaine d'années, l'assistance financière fournie par les pays donateurs représente l'équivalent de 50% du budget annuel du gouvernement. Après avoir dépensé des milliards de dollars pour mettre en place un système démocratique au Cambodge, on aurait pu croire que les pays donateurs et leurs contribuables ont intérêt à le préserver. Pourtant, la communauté internationale n'a à aucun moment, réussi à faire répondre le gouvernement de ses manquements flagrants à sa mission de protection des droits de l'homme, de lutte contre la corruption et de protection de la terre et des ressources naturelles. Dans les années 90, fermer les yeux à ces mauvaises actions était justifié par le besoin d'assurer la « stabilité ». De la stabilité découlerait le développement économique, et du développement économique découlerait le pluralisme politique. Les dernières 16 années ont montré la faiblesse d'une telle logique. Chaque fois que la communauté des donateurs n'a pas posé les bonnes questions, chaque fois qu'elle n'a pas résolu d'une façon réaliste les manquements du régime à remplir son devoir de bonne gouvernance, les personnes responsables ont augmenté leur richesse et leur impunité. Le résultat final est que les Cambodgiens ont de plus en plus de mal à demander des comptes à leur gouvernement.

Il n'est pas trop tard pour la communauté internationale pour redéfinir les termes de ses relations avec le Cambodge, mais il faudrait un changement fondamental dans son approche. En premier lieu, il faut reconnaître que priver un pays de ses ressources pour servir des intérêts personnels constitue une violation massive des droits sociaux et économiques de la population du pays. Ensuite, les pays donateurs doivent imposer des sanctions sur les individus et les membres de leur famille qu'ils ont de bonnes raisons de croire qu'ils profitent de l'exploitation corrompue des ressources de l'Etat. Ces mesures doivent comprendre le gel de tous leurs avoirs, la restriction de leurs déplacements internationaux et l'interdiction de faire des affaires avec les ressortissants des pays donateurs.

Une telle approche représente une pilule difficile à avaler pour ceux qui préfèreraient une relation amicale avec le gouvernement cambodgien. Mais, si la communauté internationale n'arrive pas à se faire respecter dans un petit pays relativement peu stratégique comme le Cambodge, que dire des semblables du Soudan, du Libéria, du Sierra Leone et de la République Démocratique du Congo? Continuer à fournir l'assistance internationale sans avoir le courage de confronter corruption massive et mauvaise gouvernance consiste à verser du bon argent après le mauvais. Pire encore, cela confère un sceau d'approbation et renforce la légitimité d'un gouvernement qui n'agit pas dans l'intérêt de sa propre population. Le Cambodge et son peuple méritent d'être mieux traités./.

0 commentaires:

Publier un commentaire

S'abonner à Publier des commentaires [Atom]

<< Accueil