Le "Triangle indochinois" : Une autre opinion
Nouvelles Du Cambodge N° 0661-F
UNE AUTRE OPINION SUR LE «Triangle Indochinois»
UNE AUTRE OPINION SUR LE «Triangle Indochinois»
Khemara Jati
Montréal, Québec
Le 18 décembre 2006
Nous reproduisons ci-dessous une autre opinion concernant le plan vietnamien pour transformer nos provinces du Nord-Est en arrière pays pour les ports vietnamiens sur la Mer de Chine Méridionale. La démocratie c’est le dialogue entre les opinions différentes sur le même sujet. Ainsi nos lecteurs peuvent se faire une meilleure idée sur le sujet.
L’auteur de l’article ci-dessous, intitulé à juste raison « Le Triangle de nouveaux conflits » de Dy Kareth. Cet article est en accord avec notre article « Nouvelles du Cambodge N° 0647 – La route de libération du Cambodge de la domination vietnamienne » pour qualifier que ce projet tend à annexer nos provinces du Nord-Est par Hanoi.
L’article donne d’autre part des informations sur les aides des grandes puissances. Le problème est de savoir comment qualifier de bon ou mauvais pour le Cambodge et les Cambodgiens, les aides des grandes puissances et même du Vietnam ? Nous savons par expérience que chaque grande puissance, chaque pays ne nous aide que pour défendre ses intérêts géostratégiques (1). Ne perdons jamais ce point de vue essentiel pour notre avenir. Alors sur quelles bases juger les aides des grandes puissances ? Les aides de telle ou telle grande puissance, sont-elles 100 % mauvaises ou 100 % bonnes pour nous ? Sur quelles bases juger ?
Pour cela, ne faut-il pas d’abord connaître nos besoins pour rassembler les Cambodgiens. Mais comment rassembler nos compatriotes ? Sur seulement par des appels à ce rassemblement ? L’Union peut-elle se faire sans au moins un certain nombre d’intérêts communs ou tout au moins convergents ? Dans tous les pays développés comme la Corée du Sud, le Japon, Singapour, la Malaisie ou le Vietnam par exemple, l’unité nationale est basée sur :
A / l’identité culturelle commune basée sur une même langue, parlée, écrite et imprimée pour l’ensemble du peuple et enseignée de la maternelle à l’université, avec une deuxième langue étrangère à partir d’un certain niveau.
B / le développement économique et la prospérité pour l’ensemble du peuple. Pour cela, il faut des usines pour fabriquer et développer toutes sortes de produits utilitaires et d’un certain niveau technologue allant jusqu’à des industries de pointes à fortes valeurs ajoutées. Il faut aussi préciser qu’une partie importante de ces usines doit être entre les mains des Cambodgiens : capitaux et main-d'œuvre à tous les niveaux.
Dans ces conditions un meilleur climat social s’instaurera progressivement.
C / une amélioration constante des moyens de communication à l’intérieur du Cambodge, dans le but de permettre le déplacement rapide des personnes et des biens et de transformer l’ensemble de notre pays en un véritable arrière pays pour développer notre port de Kompong Som.
La base stratégique de tous ces objectifs est la formation le plus rapidement en grand nombre des ingénieurs, techniciens en tout genre, des médecins, des historiens, des archéologues, des philosophes…de plus haut niveau possible pour travailler dans ces usines de plus en plus de hautes technologies et dans les laboratoires de recherches en tout genre. L’enseignement et la recherche sont les emplois de demain, le garant de notre indépendance nationale.
Dans un autre article nous examinerons en détail les aides des grandes puissances, leurs utilités pour nous, d’après les critères énumérés ci-dessus.
Notes : This article is also available into english upon request.
(1) « Le traité de San Francisco va aussi être l’occasion de fixer le principe de paiements en réparations des dommages de guerre. Le système adopté par le Japon aux pays asiatiques victimes de destruction opte pour un règlement en nature ou sous forme de prêts publics, ou privés. Ce principe s’avère très favorable aux intérêts japonais, car le Japon a besoin d’ouvrir de nouveaux marchés compte tenu du fait que le marché américain de l’époque ne peut absorber ses produits peu adaptés à la demande intérieure américaine. Les dispositions prises en 1952 offrent donc sur un plateau d’argent des marchés asiatiques et d’innombrables infrastructures à reconstruire. » Dans « Japon – Vietnam, histoire d’une relation sous influences » par Guy Faure et Laurent Schwab, Ed. IRASEC, Paris – Bangkok 2004, page 42
CFC/CBC newsletter 09 DEC 2006
NOTES :
LE « TRIANGLE » DE NOUVEAUX CONFLITS
Le « Triangle de développement » ou « Triangle indochinois », selon les Vietnamiens, est une vaste région de hauts plateaux et de forêts vierges d’environ 120.400 Km², englobant dix provinces frontalières du Vietnam, du Laos et du Cambodge (VLC), formant le centre encore peu habité de l’ex-Indochine Française, et s’étendant d’est en ouest de la Chaîne Annamitique au Mékong du Laos et du Cambodge (1). La création « officielle » de ce Triangle a été annoncée en 1999 à Hanoi par les Premiers ministres « frères » vietnamien, laotien et cambodgien, puis proclamée solennellement à Vientiane en novembre 2004, au moment de la tenue de la 10e réunion de l’ASEAN. A cette dernière occasion, un « Plan d’aménagement global » (« Master Plan ») du Triangle a été adopté. Entre temps et jusqu’en ce moment, les terres des « Montagnards » du Vietnam, du Laos et du Cambodge, d’une manière ou d’une autre, ont été brutalement spoliées par les autorités gouvernementales, les anciens propriétaires dépossédés et chassés vers d’autres lieux insalubres, sinon massacrés (2).
Le Japon, sollicité par Hanoi à devenir le plus grand bailleur de fonds du Vietnam, a donné son « soutien » à cette création, mais n’a promis jusqu’ici qu’une aide modeste de 2 milliards de yen (17,3 millions de $US) à « certains mini-projets », contre une demande minimum vietnamienne de 300 millions de $US pour des projets sociaux et éducatifs. Depuis deux ans, faute de financement suffisant, le « Plan d’aménagement global » du Triangle a du mal à être mis en œuvre, sauf pour sa partie « sécurité et défense communes ». Le grand projet n’est pas abandonné pour autant, bien au contraire. Avec son « nouveau rôle dans la région », consacré par sa nouvelle alliance avec les Etats-Unis d’Amérique - alliance officialisée lors du sommet de l’APEC à Hanoi en novembre dernier -, le Vietnam a convoqué immédiatement un nouveau « sommet » (des 4 et 5 décembre 2006, à Da Lat) avec les deux autres pays engagés dans le Triangle, y compris les chefs de leurs provinces enrôlées, et le Japon.
Des politiques prioritaires et spéciales
La déclaration commune, à l’issue du dernier « sommet » du 5 décembre des trois Premiers ministres VLC, n’est qu’une large reprise de celle dite « de Vientiane » de 2004, dont la nécessité de « mobiliser des sources de fonds pour les projets de développement déjà convenus », chacun des trois pays devant réserver une part « prioritaire » de son budget national pour l’aménagement du Triangle. A Da Lat, l’on a déterminé cette « nécessité d'établir les politiques prioritaires communes et spéciales en faveur du Triangle pour créer un environnement d'investissement et d'affaires favorable, visant à attirer les investisseurs des trois pays et du tiers pays dans ce Triangle ».
En effet, depuis Vientiane, la mobilisation des sources de fonds et leurs destinations du Laos et du Cambodge n’ont pu être vraiment coordonnées par Hanoi. Le Laos, fermé par les dictateurs de Vientiane dans le cadre de leurs « relations spéciales » avec Hanoi, vit dans la stagnation économique depuis 30 ans. N’ayant reçu que très peu d’apport de la Communauté internationale et encore moins d’investissements étrangers, l’économie laotienne a longtemps dépendu du bon vouloir de Hanoi. Mais, avec la reprise des relations entre le Laos et la Chine populaire en 1988, les échanges économiques se sont multipliés entre les deux pays également. La Chine, devenue riche, a fourni au Laos (et à ses dirigeants) d’importantes « assistances » financières et techniques, avec en particulier la construction de routes, de ponts et de barrages hydroélectriques dans l’ouest laotien, et dans l’intention évidente de l’attirer dans son orbite. Le Laos, donc, malgré ses mirifiques promesses répétées à Hanoi, n’a pas les moyens de financer sa part des travaux de l’aménagement du Triangle.
Il reste le Cambodge de M. Hun Sen pour contribuer au financement dudit Triangle, puisque, depuis quelques temps, il a reçu annuellement plus d’un milliard de dollars US d’aide internationale et de prêts à très bas taux d’intérêt, ainsi que des projets d’investissement étrangers de plusieurs centaines de millions de dollars. Cependant, M. Hun Sen ne semble pas trouver non plus de moyens financiers disponibles pour l’aménagement prévu par le « Plan global » pour les provinces du Cambodge. Même avec « une croissance économique moyenne de 8,2%, de 1994 à 2005, et de 13,5% en 2005 », selon sa propre affirmation, M. Hun Sen est incapable d’augmenter de 10 ou 20% les salaires de misère des fonctionnaires de 40$US/mois en moyenne, bloqués depuis une décennie. Seule la corruption - estimée par des économistes à plus de 600 millions de dollars en 2005 - s’est amplifiée avec ces croissances économiques, creusant un plus large fossé entre nantis et miséreux. Cependant, à côté de ses prêts sans intérêt et ses aides « sans contrôle » - dont M. Hun Sen s’est plu à glorifier à tout propos, la Chine populaire est devenue le plus grand investisseur étranger (448 millions de $US en 2005 et presque autant en 2006) au Cambodge, devant le Japon, la Corée du Sud et la Malaisie. La Chine est maintenant partout dans le pays, avec ses capitaux, ses immeubles, ses routes, ses usines, ses chantiers et ses personnels, de Stung Trèng et Mondulkiri à Kampot et Sihanoukville - où M. Hun Sen vient de la permettre de « co-créer » avec lui une modeste zone économique spéciale (pour 100 millions de $US) en face des sites de futurs gisements d’hydrocarbures cambodgiens.
Mais, le Vietnam qui connaît un plus grand boom économique et qui reçoit depuis quelques années des milliards de dollars d’aide et d’investissements étrangers n’a pas pu non plus mobiliser une partie de ses fonds pour l’aménagement socio-économique du Triangle, sauf pour quelques plantations « privées » de caféiers, de théiers et d’hévéa et un petit barrage hydroélectrique sur le fleuve Sésan. La grande idée de Hanoi, exprimée en 2004 et confirmée encore récemment à Da Lat, est la mise en marche du « Comité de coordination commune, (lequel doit) se réunir annuellement - au niveau des gouvernements et au niveau des provinces engagées - pour élaborer les politiques prioritaires communes et spéciales pour ce Triangle et appeler les trois pays, les pays tiers et les organisations internationales à y investir ». En d’autres termes, le Vietnam va forcer progressivement ses deux « associés », surtout le Cambodge, à lui soumettre préalablement toutes leurs décisions aussi bien sur leurs dépenses budgétaires, que sur la destination de l’aide internationale et sur l’autorisation des investissements étrangers dans leur pays respectif. Le Vietnam tient donc désormais à diriger de près les aménagements des économies du Cambodge et du Laos en réponse aux exigences de celle du Vietnam. M. Hun Sen devra donc revoir les options de sa « politique » économique, du moins celles relatives aux investissements chinois au Cambodge.
Une position éminemment stratégique
Jusqu’à présent, la région dudit Triangle n’a été « fréquentée » que par des troupes en guerre et par des maquisards anti-gouvernementaux laotiens, cambodgiens ou vietnamiens. Personne n’a songé vraiment à améliorer la vie des tribus d’indigènes qui y peuplent et qui ont servi de forces supplétives aux uns et aux autres dans leur lutte respective. Etant donné la géographie et la démographie da la région, sa mise en valeur représenterait un véritable gouffre financier, dont personne n’ose espérer un retour profitable, même à long terme (3). Mais, il reste qu’elle constitue un nouvel espace de colonisation pour le Vietnam qui, avec ses 85 millions d’habitants et une croissance annuelle de 2%, connaît d’insurmontables problèmes démographiques et de graves crises socio-économiques, menaçant constamment sa stabilité interne. En termes politiques, selon l’ex-Premier ministre vietnamien Phan Van Khai, le Triangle doit « contribuer pour une part active au renforcement des relations de coopération d'amitié traditionnelle entre les trois peuples…Les dirigeants des trois pays (sont) déterminés à porter les relations entre les trois pays à une nouvelle hauteur de la fraternité traditionnelle, de la coopération intégrale, de la compréhension et de la confiance réciproques ». Le nouveau Premier ministre Nguyen Tan Dung, comme son prédécesseur, y voir « une nouvelle base pour la consolidation de la paix, de la stabilité, de l'intégration et du développement dans la sub-région du Mékong et dans la région ». Le Triangle devra ainsi résorber une bonne partie de la crise vietnamienne.
Or, pour les dirigeants de Hanoi, le plus grand facteur d’instabilité au Laos et, surtout, au Cambodge est l’influence grandissante de Pékin dans ces pays. La présence chinoise, à l’heure actuelle, est même visible dans la zone cambodgienne du Triangle, avec ses constructions de routes en Stung Trèng, ses exploitations forestières en Mondulkiri et ses unités de prospections minières en Ratanakiri, etc., non sans quelques conflits avec les populations des lieux. Aux yeux des Vietnamiens, ces investissements chinois menacent la « stabilité » du Triangle et celles des trois pays « indochinois ». Elle doit représenter un « danger » même pour toute la région, au point que le chef du PCV, M. Nong Duc Manh, recevant M. George W. Bush en novembre dernier, se mette en devoir d’exhorter les USA à s’investir en force de nouveau au Vietnam, à « mettre le passé de côté et regarder vers le futur », afin de « fonder une coopération complète » entre les deux pays, y compris sur le plan militaire.
Sur le plan militaire, d’ailleurs, personne ne connaît la région du Triangle mieux que les généraux de Hanoi qui l’ont incessamment utilisée pendant et après les deux guerres d’Indochine. Le Triangle occupe « une position éminemment stratégique sur les plans politique, économique, social, environnemental et écologique… » (M. Phan Van Khai, en janvier 2002), pour le contrôle de Hanoi sur le Laos, le Cambodge et le sud du Vietnam. A présent, grâce à l’aide éventuelle - financière et, pourquoi pas, militaire - du Japon et des USA, Hanoi serait de nouveau en mesure d’imposer ses vues sur les options économiques et politiques de Vientiane et de Phnom-Penh, et de « couper » ainsi la route terrestre de l’avance chinoise vers le Golfe du Siam. Par la même occasion, elle consoliderait sa colonisation du Laos et du Cambodge (4) et réussirait même à intégrer ces deux pays dans sa Fédération Indochinoise tant voulue par le PCV, avec, cette fois-ci, la bénédiction nécessaire du Monde Libre.
Devant de tels objectifs politiques inclus dans le projet du Triangle, le problème de son développement économique devient beaucoup plus aléatoire qu’ailleurs pour tout le monde. Mais, dans ce projet, le Vietnam s’engage déjà, à divers niveaux du Laos et du Cambodge, à développer des foyers de nouveaux conflits, à l’issue desquels il serait le principal gagnant,… en supposant que la Chine, son grand « compétiteur » actuel, va accepter de se retirer rapidement du « jeu ».
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(1) : Ce sont les provinces de : Kon Tum, Gia Lai, Dac Lac et Dac Nông (Vietnam) ; Attapeu, Sékong et Saravan (Laos) ; Stung Trèng, Ratanakiri et Mondulkiri (Cambodge).
(2) : Dy Kareth, Le « Triangle de Développement » expansionniste, Publications du CFC-CBC, Paris, 22 août 2005.
(3) : De retour de Da Lat, selon AKP, M. Hun Sen et ses ministres appellent « les compagnies privées à investir dans la région du Nord-Est du Cambodge, inclue dans le Triangle de développement CLV, pour en faire un 4e pôle économique en 2015, après Phnom-Penh, Sihanoukville et Siemreap »
(4) : En 2003, le nombre des « immigrants » vietnamiens au Cambodge depuis 1979 a déjà atteint 4,5 millions sur une population totale de 13 millions.
Paris, le 9 décembre 2006
Le Comité des Frontières du Cambodge
en France et dans le monde.
Dy Kareth,
Vice-PrésidentCambodia's Borders Committee : http://www.cfcambodge.org/ ( http://www.cfcambodge.org/ ) Email : secretariat@cfcambodge.org ( mailto:secretariat@cfcambodge.org )
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