2006-05-06

NOUVELLES DU CAMBODGE N°0616-F

Cambodge Soir
Mardi 2 mai 2006

HUIT CENT OUVRIERS EMPÊCHÉS DE MANIFESTER À STOEUNG MEANCHEY

Une foule de huit cents ou­vriers qui travaillent dans les usines de confection textile bordant la route Veng Sreng et qui voulaient rejoindre le centre ville de la capitale pour participer aux manifesta­tions du 1er mai ont été blo­qués puis dispersés hier ma­tin par une centaine de poli­ciers antiémeute des arrondissements de Tuol Kork, Meanchey et Dangkor. Un peu avant 9 heures, la police a mis en travers du pont de Stœung Meanchey un de ses véhicules avant de com­mencer à repousser les ouvriers sur ordre du gouver­neur de l'arrondissement de Meanchey, Kouch Chamrœun. Celui-ci a com­mencé à arracher des pan­cartes et la police, sur son ordre, a utilisé des ma­traques électriques pour dis­perser les manifestants. Les policiers ont saisi un des ma­nifestants et l'ont sorti de la foule pour le frapper. La fou­le des ouvriers n'a eu d'autre choix que de se replier vers le marché de Stung Mean­chey, alors que les policiers étaient épaulés par deux ca­mions de pompiers prêts à in­tervenir.

Manifestement, certains policiers n'avaient que peu de considération pour les ou­vriers, jugés manipulés par leurs dirigeants syndicaux. "Vous n'avez aucun intérêt à manifester comme ça. C'est le syndicat qui gagne de l'ar­gent sur votre dos. Vous fe­riez mieux de rester chez vous et de regarder la télévi­sion", lançait ainsi un policier à une ouvrière au moment de la dispersion. La réponse ne s'est pas fait attendre: "Moi, si je réclame des augmenta­tions de salaires, c'est pour tout le monde: pour les ou­vriers, les professeurs, les fonctionnaires, et pour vous aussi les policiers".

L'un des représentants du Siorc a été brièvement inter­pellé par la police alors qu'il cherchait à se rendre à pied depuis le pont de Stung Meanchey jusqu'au siège de son syndicat. Les policiers l'ont laissé libre de ses mou­vements après qu'il eut as­suré qu'il n'avait pas l'inten­tion de conduire une mani­festation. "Si je vais à pied, ce n'est pas que je manifes­te. C'est que je n'ai pas le choix puisque nos camion­nettes ne peuvent pas entrer en ville", a-t-il expliqué aux policiers. Sok Pheng, dépu­té du PSR qui était sur place, a estimé que les mesures prises par les autorités pour bloquer les manifestants étaient "contraires à la loi". Il a indiqué son intention de vouloir pousser le gouvernement à créer un nouveau tex­te encadrant le droit de ma­nifestation. . Ros Dina

Un succès relatif pour les syndicats malgré l’interpellation du leader Chea Mony
Les ouvriers auront finalement fêté leur 1er mai dans la rue et en bran­dissant leurs revendications, impri­mées sur la toile de moult bande­roles. Bravant l'interdiction de la mu­nicipalité, les ouvriers et leurs repré­sentants syndicaux ont répondu à l'appel lancé par le Siorc (Syndicat indépendant des ouvriers du royau­me du Cambodge), l'Association in­dépendante des enseignants du Cambodge (AlEC) et un autre syn­dicat ouvrier de la confection textile, le CCAWDU (Coalition of Cambodia Apparel of Workers Democrat Union). Avant l'aube, ils se sont pré­sentés aux portes de Phnom Penh qu'ils n'ont pu bien souvent franchir, accueillis par d'imperméables bar­rages policiers (lire page 6).

L'incertitude des premières heures
« Très vite. la stratégie adoptée fut de se disperser en petits groupes afin de ne pas attirer l'attention des forces de l'ordre », précisait hier Rong Chhun, président de l'AIEC, atten­dant devant le siège du Siorc le signal de départ d'une manifestation qui s'annonçait alors réduite à la portion congrue. A ce point de ralliement, quelque 500 ouvriers de 70 usines pa­tientaient, déjà armés des indispen­sables calicots de rigueur en cette journée internationale du travail et de photos agrandies de leur héros Chea Vichea -ancien président du Siorc as­sassiné en janvier 2004 - à la tête de dizaines de milliers de manifestants. Pour éviter toute confusion, chaque banderole a été estampillée du tam­pon rouge du Siorc. L'épisode des ar­restations survenues suite à une pan­carte jugée insultante envers le gou­vernement et saisie à l’occasion de la Journée des droits de l'Homme cé­lébrée au Stade olympique reste pré­sent dans les mémoires.

Le leader politique Sam Rainsy, sui­vi peu après du militant des droits de l'Homme Kem Sokha, se sont joints à cette foule. Le premier l'a haranguée, dénonçant « le mépris du gouverne­ment pour les ouvriers » qui auraient dû, selon lui, recevoir l'autorisation de marcher vers l'Assemblée nationale comme ils le demandaient. Le second a estimé que le gouvernement avait dévoilé « sa faiblesse politique » en ayant refusé ce droit aux ouvriers.

C'est alors que le bruit de l'interpel­lation de Chea Mony, président du Siorc, a circulé. Le frère de Chea Vi­chea, qui avait pris la tête d'un grou­pe composé de plusieurs centaines d'ouvriers, marchait sur le boulevard de la Confédération de Russie quand il a été arrêté puis mené au commis­sariat de police de Russey Kéo. Il sera retenu deux heures durant. « Les poli­ciers m'ont accusé de troubler l'ordre public, et ont pris mes empreintes di­gitales. Ils m'ont demandé quel par­cours comptions-nous suivre. Je leur ai dit que nous irions au wat Langka, là où mon frère a été assassiné, pour nous y recueillir », rapportait-il hier.

Quelques coups de fil de Sam Rainsy, et un cortège qui s'ébranle
Sam Rainsy avait entre temps re­joint les ouvriers bloqués à un barra­ge dressé sur le bld de Pochentong, au-delà duquel s'égrènent une multi­tude d'usines de confection textile. Quelque soixante policiers, boucliers et matraques électriques bien en main, faisaient obstacle au passage d'une masse d'ouvriers pourtant bien décidés à rejoindre leurs collègues au siège du Siorc. La majorité ne réussi­ra pas à franchir le barrage mais aura droit à des discours de Sam Rainsy et Kem Sokha, qui les ont rejoints. C'est là que le premier a décidé d'appeler le ministre de l'Intérieur Sar Kheng. « Je lui ai expliqué que le 1er mai était une journée importante et que nous vou­lions former un cortège pacifique. Comme il se trouve actuellement à l'étranger, il m'a dit de demander aux responsables syndicaux de discuter avec les policiers. Je me suis porté ga­rant pour que la circulation ne soit pas perturbée et j'ai répercuté les informations aux policiers. En vain », ra­conte Sam Rainsy, qui choisit alors de regagner à pied le siège du Siorc, si­tué non loin de l'ancienne ambassa­de américaine, accompagné d'une trentaine d'ouvriers qui sont parvenus à se faufiler.

Finalement, au siège du Siorc, la nouvelle se répand que la marche pourra avoir lieu. Les militants se res­saisissent, et les représentants syn­dicaux défilent au micro. Une petite heure plus tard, en fin de matinée, Sam Rainsy a rejoint le centre de Phnom Penh au terme d'une longue marche sous un soleil de plomb et le cortège s'ébranle, sous le regard de forces de l'ordre passives et en nombre limité.

Trois groupes se rejoignent devant le kiosque à journaux où Chea Vichea est tombé en 2004, menés par le Siorc, le président du CCAWDU et Sam Rainsy. Ce dernier explique de­vant un cortège qui ne cesse de gros­sir vouloir rendre hommage à Chea Vichea, « celui qui a initié dans le pays les manifestations de rue pacifiques dans le but de défendre les intérêts des ouvriers ». Des gerbes de fleurs sont déposées dans un grand brou­haha et des baguettes d'encens brû­lées. Dans l'enthousiasme général, la foule tente de marcher vers l'Assem­blée nationale et se heurte à un bar­rage policier dissuasif. Rong Chhun les interpelle: « Ne frappez pas les ou­vrières car certaines d'entre elles sont vos petites amies! » Et d'un seul hom­me, les manifestants se rabattent sur le monument de l'Indépendance.

« Les policiers n'auraient pas dû nous barrer le chemin. On a déjà per­du beaucoup de manifestants en cours de route. On a alors pris d'as­saut le monument de l'indépendan­ce », raconte Sam Rainsy, qui saisit l'opportunité de ce monument sym­bolique. « Nous avons obtenu l'indé­pendance des colonialistes français, il nous faut aujourd'hui l'obtenir du co­lonialisme économique, des hommes d'affaires véreux qui nous exploitent! » Les policiers laissent finalement la voie libre vers midi. Suite à un autre coup de fil passé par Sam Rainsy à Sar Kheng ou bien, comme il le dit après-coup en souriant, parce que « nos micros et slogans ont importuné Hun Sen sous les fenêtres duquel nous étions » ? Les mêmes revendica­tions sont exprimées, cette fois-ci de­vant l'Assemblée nationale, la desti­nation finale souhaitée par les orga­nisateurs de la manifestation.

Meilleurs salaires et réduction de la semaine de travail
Les revendications d'un événement à l'autre organisés hier matin ne différaient guère. Comme annoncé de longue date, les syndicats, rejoints par Sam Rainsy et Kem Sokha, ont de­mandé une augmentation du salaire mensuel minimum à 80 dollars pour les ouvriers et 100 dollars pour les fonctionnaires, une réduction du temps hebdomadaire de travail de 48 à 44 heures. La réclamation d'une baisse du prix du pétrole est venue se rajouter à ces dernières, et a permis ainsi de rallier à la cause des ouvriers les motodops et autres badauds qui se trouvaient sur leur chemin.

Un succès en demi-teinte?
La Commission des droits de l'Hom­me des Nations unies se disait hier sa­tisfaite que « la manifestation ait été fi­nalement autorisée à se tenir de manière pacifique », ce malgré le fait que la marche n'ait pas été autorisée dans sa forme initiale. Mais le dénouement auquel ont donné lieu les rebondisse­ments d'hier matin laisse croire qu'une porte a été ouverte à l'avenir pour l'ex­pression de ces droits. Un sentiment partagé par l'observateur de la vie po­litique Lao Mong Hay. « Je crois qu'en premier lieu, on n'aurait pas dû inter­dire cette manifestation. C'était com­me si Phnom Penh était en état de siè­ge avec l'importante ceinture de sé­curité déployée. Mais la détermination des manifestants a payé, et c'est une victoire pour eux. » Pour Chea Mony, « il s'agit d'un succès dans ce contexte, même si les nombreux barrages nous ont fait perdre beaucoup de manifes­tants ». Le président du Siorc avait pré­vu au départ plus de 10 000 ouvriers à ce rendez-vous mais ils n'auront pu être qu'un peu plus d'un millier. « En jouant ce jeu, les autorités perdent en crédibilité », estime-t-il.

Sam Rainsy se dit également « as­sez content, au terme d'une « matinée très mouvementée ». « Je pense que « les autorités on compris et cela de­vrait mieux se passer l'an prochain. » Certains observateurs jugeaient hier qu'il s'était approprié l'événement, d'autres qu'il avait repris son rôle d'op­posant.

LD, NS et SG

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